DJIBOUTI "SUR LES TRACES D'HENRY DE MONFREID
Carnet de voyage à Djibouti ville
PRÉFACE
Par un jour ensoleillé d'octobre 1998, je reçois la visite de deux beaux gaillards tout droit venus de Rennes: José-luis S., d'origine catalane, et Philippe J., vrai breton qui ne peut cacher son origine celte. le ton chaleureux est donné. Tous deux me confient un projet généreux, inattendu: combattre une maladie génétique, caractérisée par une diminution de la pigmentation de la peau et des yeux - !'Albinisme - une maladie rare dont on parle peu, mais qui n'en est pas moins sérieuse. Pour la combattre, ils décident un projet: l'Association "Génespoir", dont la Présidente est Fabienne J.
Pour être perçu il faut frapper fort, un grand coup médiatique. Nos deux sportifs, policiers d'élite de surcroît, décident un raid audacieux en Somalie et en VTT ! "Sur les traces d'Henry de Monfreid". Il n'est pas simple d'aller sur ces traces-là. Un ami m'avait dit un jour:
"Votre père est comme le renard, il efface ses traces". Ceci était du temps de ses aventures au début du siècle. l'élémentaire prudence au milieu de ces peuplades était de laisser le moins d'indices possible sur son chemin...
lorsque j'apprends ce projet, il me parait fou. Je connais bien - pour y être née et y avoir passé toute mon enfance - l'hostilité des Dankalis, des Issas (appelés Afars) vis à vis de l'étranger blanc, et combien cette race noble et fière peut devenir redoutable parfois. Certes des décennies ont passé depuis, une évolution des coutumes s'est produite, mais elle n'efface pas complètement ce profond sentiment tribal, ancestral.
Évoquons le terrain, le climat maintenant. Volcanique, cahoteux, désertique, torride. Seul le chameau résiste à ces épreuves et à ces obstacles. Que fera donc un VTT là dedans!
Eh bien! Ils l'ont fait!
Tout au long de la lecture du "Carnet de Voyage" de José-luis S., on suivra les péripéties de cet exploit original.
Ce fut pour ma part une émotion de faire revivre le souvenir de mon père au travers d'une telle tentative. Il aurait apprécié cette démarche humanitaire. Ses aventures ont été vécues pleinement, intensément, librement. Il aura fait rêver les jeunes générations en quête d'aventures. A leur tour, c'est un défi à relever et c'est le plus grand hommage qui puisse lui être rendu.
José, Raoul son fils, Philippe, Florent, à l'équipe Bravo! Amélie Monfreid-Dubarry
Citation d'Henry de Monfreid
« N'ayez jamais peur de la vie, n'ayez jamais peur de l'aventure, faites confiance au hasard, à la chance, à la destinée. Partez, allez conquérir d'autres espaces, d'autres espérances. Le reste vous sera donné de surcroît ».
RAID EXTRÊME DJIBOUTI "SUR LES TRACES D'HENRY DE MONFREID"
Dieu fasse que je sois digne de faire partie de cette élite, de cette tranche d'hommes trempés d'humilité, qui ont choisi de remplir leur vie par un enrichissement constant au contact des autres et des pays qu'ils traversent.A l'image des hommes qui découvrirent le Nouveau Monde, de ceux qui s'engagèrent sur la Route des Indes et qui parcoururent l'Afrique.
Aux pionniers de soi-disant "l'impossible", aux navigateurs, explorateurs, aventuriers ou chercheurs. Aux illuminés partis à la recherche du Saint Graal, à ceux qui sortent des sentiers battus.
Aux voyageurs sans limites qui baignent dans l'esprit d'aventure, aux rêveurs sans frontières qui cherchent le dépassement de soi sur le chemin menant à puiser dans ses dernières ressources.
Aux sportifs, aux combattants qui n'ont pour seul ennemi qu'eux-mêmes, qui considèrent que l'unique ingrédient au piment de la vie réside dans leur corps et sont prêts à dépasser leurs limites pour l'extirper de leurs entrailles.
A tous ces accrocs animés de paysages, de défis, d'aventures, d'exploits, de réussite, plein de volonté pour accomplir leur mission et atteindre leur idéal.
A tous ceux qui ont le mérite de ne faire appel qu'à leurs propres ressources, leur résistance, leurs connaissances, leur intuition, leur motivation, leur générosité, leur esprit d'équipe, leur solidarité et surtout l'absolue nécessité de se mesurer aux éléments.A tous ces hommes qui n'ont pas d'autre alternative pour s'affirmer dans la vie que la victoire pour émerger de la masse, sortir de l'inconnu, de l'indifférence générale. Je tire mon chapeau et m'incline devant tant de sacrifice et de passion.
Je dédie ces lignes à tous ceux que j'aime, tous ceux qui dans ma vie m'ont épaulé, à ma famille, à mes parents, à tous ceux qui m'ont insufflé cette envie d'aller de l'avant, d'être un gagnant et qui connaissent ma différence: "vivre à 100 à l'heure, passionnément, pleinement cette vie qui n'est qu'un passage".
Je ne veux pas mourir sans avoir croqué cette vie à pleines dents, il y a tant à faire, il y a tant à voir, quelle est belle la vie, quelle est belle cette terre!
Le 09 janvier 2008
PREMIERES TRACES
Initié dès mon plus jeune âge à cet esprit d'aventure par les récits marins de mon père et la carrière navale de mon grand-père, j'ai voulu découvrir le monde et les autres. Etre un conquérant, avec mon caractère un peu rebelle.
j'ai moi-même tracé ce destin en quittant mes parents pour passer le concours de l'Ecole des Mousses à Brest, un 7 avril 1975. Pas encore 16 ans, mais la ferme intention de partir vers de nouvelles aventures dignes de Marco Polo ou de Surcouf. j'ai pris le train direction Brest. Le Centre d'Instruction Navale accueillait l'Ecole des Mousses. Un bus bleu nous attendait à la sortie de la gare, nous le remplissions peu à peu et j'avais du mal à croire que ce n'était pas comme un départ de colonie de vacances,
L'Ecole des Mousses
Je ne raconterai que les faits marquants, car comment expliquer ce que j'ai ressenti, les joies, les peines, les frustrations et la solitude qui vous envahissent adolescent loin de chez vous, loin des vôtres et de l'amour de vos parents. J'ai voulu m'assumer très jeune mais je ne savaÎs pas ce qui m'attendait, comme la vie peut parfois être dure. J'ai pleuré souvent, seul dans mon lit, implorant Dieu, mes parents et tous les saints de me venir en aide.
Les inspections de chambre, de sac marin, le repassage, le lavage, les corvées, les cours, mais aussi la mer, la vraie, la dure que l'on découvre à l'oeil d'une formation maritime. Une année où je suis passé de l'adolescence à la vie adulte. j'ai été savamment éduqué par une formation scolaire, maritime et militaire avec des règles, des devoirs et où les droits sont réduits au minimum. Le système D tient une place prépondérante, mais les notions d'Honneur et de Patrie donnent une force hors du commun. L'idéal que je me suis forgé est devenu le moteur de ma vie, j'étais prêt à affronter les dangers et toutes les embûches pouvant surgir sur mon chemin. J'ai su tirer parti de toutes mes expériences, bonnes ou mauvaises, grâce aux quelques connaissances acquises à l'école, mais surtout à mes capacités physiques naturelles. Je tiens à remercier mes origines, dont je suis fier, et qui ne sont pas innocentes à ces quelques avantages.
C'est vrai, la Marine a su remplacer mes parents pour tout ce qui concerne la vie courante, j'y ai appris à être capable de m'assumer en tant qu'adulte. Mais j'ai perdu en amour, affection et tendresse, manque dont je serai toujours en quête. Pourtant je ne regrette rien, j'ai voulu ce destin pour découvrir la vie à travers les voyages.
J'ai du seul choisir mon avenir parmi un panel de spécialités. j'ai de l'admiration pour les métiers technologiques mais je n'ai jamais été attiré par ces filières. J'éprouve plus de fascination pour les meneurs d'hommes, les marins, les loups de mer, les soldats, où le physique est aussi important que la technique.
J'ai encore le souvenir des gradés qui nous encadraient en ordre serré lors des marches forcées, qui nous surveillaient dans nos dortoirs et animaient les séances de sport. Des athlètes dans leur tenue bien taillée, quelle allure, quelle prestance, martiales, imperturbables et solides comme des rocs. Cette image m'a obsédé pendant toute cette année au Centre d'Instruction Naval. je voulais leur ressembler et pour moi tous les moyens étaient bons.
Lors du choix de spécialité, mon classement m'a permis d'accéder au desiderata tant attendu par nous tous, jeunes qui recherchions un idéal: "Fusilier Marin". j'ai fait ce choix plein d'envie, avec un mélange de joie et de peur. je revois encore l'image de mon père en marin, le fusil sur l'épaule, et une fierté sans égale m'envahit.
L'Ecole des Fusiliers Marins
Le 1 er mars 1976, je suis parti à Lorient, Ecole des Fusiliers Marins, pour effectuer mon Brevet Élémentaire: nouvelle ville, nouvelle base, nouveaux amÎs. Serais-je à la hauteur, digne de mes anciens? j'avais la rage au coeur de faire mes preuves, malgré un peu de vague à l'âme. Brest me plaisait bien, j'allais quitter ma deuxième famille.
Tout un mythe, cette Ecole des Fusiliers Marins. Où avais-je mis le cap? C'était fini l'assistanat de l'Ecole des Mousses. j'avais à apprendre vite et bien, la démerde, car les hommes qui m'entouraient étaient pour la plupart plus âgés que moi et ne ressemblaient en rien à des ados. Le Fusilier Marin est un soldat, mais avant tout c'est un marin. Ma formation était ciblée sur son rôle: police des bases, des navires, troupes de marine embarquées. j'étais fier d'appartenir à la Marine Nationale" la Royale", moi, le fils d'émigré espagnol. je crois que le jour où j'ai réussi mon concours, un sentiment de fierté mélangé d'angoisse a traversé le coeur de mes parents.
Dès que j'ai appris qu'un Fusilier Marin pouvait devenir Commando Marine, je n'ai plus eu comme objectif que cette spécialité. Etre l'élite de la Marine Nationale, le descendant des Commandos Kieffer, la continuité de ces hommes qui effectuaient des raids en ligne ennemie lors de la seconde guerre mondiale. Quel honneur, quelle fierté! Nous avons été courageux, car je salue tous ces jeunes qui comme moi n'avaient pas encore 18 ans. Aujourd'hui, en raison de nombreux accidents, l'âge requis pour rentrer dans les Commandos Marine est de 18 ans.
Nous étions fous, nous étions durs, cet idéal du Commando Marine, ce mythe nous donnait des ailes, la force de nous surpasser, d'aller au-delà de nos limites, de sortir nos tripes pour gagner le fameux Béret vert et le badge numéroté, symboles de notre valeur. Les souvenirs les plus marquants restent pour moi les raids nautiques où le retour s'effectuait dans la vase, et les marches forcées où nous nous dépassions au-delà de nos forces. Que dire des inspections au torchon blanc lors des retours nautiques et des sanctions qui pouvaient en découler!
Cette formation est une des école de la vie et il est bien dommage que certaines méthodes traditionnelles disparaissent au profit de l'assistanat, qui ne peut apprendre aux jeunes à s'endurcir et s'assumer. Après mon stage Commando et Parachutiste, j'étais prêt à affronter tout entraînement, toute difficulté ou toute mission'qui pouvait arriver.
Le Commando de Montfort
Le destin est ainsi fait que le jour de la remise des Brevets Commando, la hiérarchie demanda qui voulait partir sur le champ avec le Commando de Montfort pour une mission de sept mois en Océan Indien. Il fallait un volontaire. Mes dix sept ans ne pesaient pas lourd, mais je me sentais fort et ne pouvais rater une telle opportunité. Le Commando de Montfort était le plus réputé à l'époque, composé de vieux brisquards, de vieux quartiers martres burinés par la mer et les missions, endurcis aux coups de main. Je ne savais pas forcément ce qui m'attendait, mais je les avais vues, ces gueules, ces têtes brûlées, des durs à cuire. Elle m'a toujours attiré cette vie d'hommes, de vrais, sans fioritures, sans chichis, sans manières. Ces hommes qui travaillent durement dans l'ombre pour leurs concitoyens, leur pays, leur idéal.
Le premier jour d'affectation au Commando de Montfort, encore vêtu de mon costume marin et coiffé de mon bonnet à pompon rouge, je me suis rendu au self pour déjeuner. Tous les anciens me doublaient dans la file d'attente et j'étais toujours le dernier une heure après. En entrant dans le réfectoire mon plateau à la main, j'ai lancé "bon appétit". Un ancien, tatoué d'un énorme dragon sur l'avant-bras gauche, s'est approché et m'a dit: "tu commences par effacer ton sourire, tu poses ton plateau et tu me fois 40 pompes". Le ton était donné! Je me suis exécuté, puis lui ai répliqué: "exercice terminé, paré à recommencer avec le sourire, quartier-maître".
Ma plus grosse surprise fut que le départ était très proche pour l'Afrique: Djibouti, l'océan Indien. Les nouvelles étaient graves dans cette partie du monde. Le Territoire des Afars et des Issas s'apprêtait à proclamer son indépendance après avoir été Côte française des Somalis. Djibouti voulait reprendre sa liberté dans une période trouble et euphorique, parsemée d'attentats. Néanmoins, j'étais heureux du voyage à travers terres et océans. J'étais persuadé que 1977 allait être une bonne année.
Partis de Brest, nous avons traversé l'Atlantique puis la Méditerranée pour atteindre Toulon. J'ai cru que mon voyage et ma vie basculaient lors d'une séance de sport sur le pont du navire. Atteint d'une violente douleur au genou droit, il a fallu m'hospitaliser à l'Hôpital Maritime de Toulon, puis celui de Lorient. Je crois que mon corps, vu mon jeune âge, a eu du mal à supporter la charge de travail que l'on nous demandait à l'époque.
1,2, et 3 VOYAGES : LA DECOUVERTE DE DJIBOUTI
Premier voyage à Djibouti
Deux mois d'hospitalisation m'ont remis sur pied et j'ai pu rejoindre en février 1977 le Commando à Ali Sabieh, distante de 95 kilomètres de Djibouti. Il me reste quelques souvenirs d'Ali Sabieh. Nous logions dans un camp de toile, anciennement camp du 2ème REP de la Légion. Deux guépards nourris par les légionnaires d'un camp non loin du nôtre nous rendaient visite lorsque nous allions dans un bar à proximité de la garnison. Ces deux guépards semblaient apprivoisés, mais ils repartaient à la vie sauvage une fois rassasiés. Quelques nomades et leurs chèvres demeuraient autour de ce petit village. Dans cet environnement hostile, ce relief accidenté aux contours lunaires et volcaniques, la température était à la limite du supportable.
Mais cet étrange pays plein de mystères m'attirait. Nous devions, en cette année de proclamation de l'indépendance, surveiller les zones frontières pour parer à tout risque d'attentat par les rebelles. Les tournées frontières me réjouissaient. Nous flirtions avec l'Ethiopie, la Somalie et j'apprenais chaque jour de nouvelles choses, je voyais de nouveaux paysages, de nouvelles contrées. Je ne demandais qu'à ouvrir mes yeux et observer ce qui m'entourait. Je n'ai jamais refusé de découvrir l'inconnu.
Deuxième voyage à Djibouti
En 1978, mon deuxième séjour au sein des Commando Marine m'a permis de mieux connaître la contrée de Djibouti. A Arta, niché à 800 mètres d'altitude, il fait frais. Un peu de végétation et des fleurs agrémentent les quelques maisons blanches construites par des Français et destinées à la hiérarchie militaire. Nous étions logés dans un bâtiment en dur que nous réhabilitions pendant tout notre séjour. Les places étant limitées, quelques tentes marabout étaient installées.
Arta domine le golf de Tadjourah. Ce fut une révélation lors des couchers de soleil sur le Ghoubet, magnifiques, d'un orangé qui n'existe qu'à la, hauteur des tropiques. Cette couleur tranche avec l'azur du ciel. Combien de fois ai-je admiré ce ciel? Je n'en ai jamais vu d'aussi étoilé. La mer semblait calme et la douceur de la nuit attirait autour de nos lampes papillons et moustiques, qui font le régal des margouillas (petits lézards aux pattes munies de ventouses leur permettant de se déplacer dans toutes les directions sur les murs). Nous appréciions la brise marine qui vient du golfe et, lorsque le temps était très clair, nous pouvions apercevoir les boutres qui naviguent depuis Djibouti.
Nous descendions à Arta Plage faire des exercices nautiques. j'y ai découvert la mer Rouge, la barrière de corail, l'eau chaude, salée et transparente. C'était un véritable plaisir ce contraste entre la température extérieure insupportable et ces bains dans une eau fraîche soulageant la peau des brûlures du soleil. Les souvenirs effleurent mon esprit, les galets brûlent mes pieds. La mer Rouge, j'en rêvais et j'y étais. Tout se bousculait et soudain, les récits d'aventures jaillirent de ma mémoire. Contrebandiers, pêcheurs de perles, tempêtes sur la mer Rouge...du fond de mon enfance ressurgirent "Les Secrets de la mer Rouge" d'après le feuilleton télévisé, mais surtout d'après la lecture du roman d'Henry de Monfreid. Ce flibustier, écrivain et aquarelliste a bercé mes rêves d'aventurier. Son souvenir auréole d'histoires vécues l'attirance irrésistible que l'Afrique, berceau du monde, a toujours éveillé en moi. Il se nomma Abd el Haï, "l'esclave du vivant", de l'un des quatre vingt dix neuf noms d'Allah après qu'il eut promis devant son équipage d'embrasser la foi musulmane s'ils sortaient vivants d'une effroyable tempête en mer Rouge.
j'eu la chance d'être affecté à la Police Militaire sur la base d'Ambouli, près de l'Aéroport international. Missionné à la surveillance des avions d'Air France, je nouais rapidement amitié avec les différents équipages qui se succèdaient. Lors des escales, nous nous rendions en boutre, tous ensemble avec commandants et hôtesses, sur les îies Moucha et Maskali. Bronzage sur le pont à la faveur d'une brise marine qui adoucit cette chaleur de fournaise. Voir Djibouti de la mer en sortant de l'Escale marine me comblait de dépaysement. j'aperçevais les façades blanches du palais présidentiel et des quelques maisons près de l'Escale. Nous jetions l'ancre près de la plage de Maskali. Une impression de retrouver mes rêves d'enfant: "Robinson et Vendredi", "Llle au trésor", "Moby Dick", un mélange d'aventures, d'exploits, d'expéditions. Mais la réalité présente, c'était cette ~e perdue, sans population, sans végétation, sans pollution, sable fin, blanc, fonds peu profonds. j'avais hâte de plonger pour contempler ces fonds. j'y découvrais des coraux gigantesques, des bénitiers, des poissons lune, chirurgiens, murènes. j'étais attiré par cet univers, j'avais soif de découverte, une épave peut-être, pourquoi pas avec quelques armes? l'ombre de Monfreid grandissante m'excitait.
Djibouti, ville stratégique qui contrôle l'accès de la mer Rouge à l'océan Indien. Lors de ce second séjour, j'ai découvert la place Ménélik, la mosquée Hamoudi sur la place Mahamoud Harbi qui portait autrefois le nom d'Arthur Rimbaud. Toujours ce blanc dominant sur les façades. les arcades permettent de se mettre à l'ombre sur les terrasses des cafés et, la nuit venue, de profrter des soirées sous les lampions.
jouxtant la cité construite en 1884, les quartiers et les bidons-villes àbritent la moitié de la population de la République. La pauvreté était omniprésente: enfants, handicapés, vieillards, mendicité, petits boulots, cireurs, vendeurs ambulants remplissaient les rues. La chaleur humaine délivrée aux hommes blancs était rare, restes d'un colonialisme ségrégataire, entre bonnes intentions et exploitation. Et pourtant il m'est arrivé de discuter avec des Djiboutiens que la présence française rassure. j'apprenais quelques mots et goûtais aux spécialités culinaires locales: samousas faits de viande et de pain récupéré dans les ordures de la décharge d'Arta, porc épic mijoté, brochettes de requin et autres poissons. Le pays était pauvre, très pauvre.
La présence européenne permettait à certains de survivre et de jeunes enfants nous abordaient avec insistance de multiples fois pour réclamer quelques pièces. j'ai fais connaissance avec la misère, mais aussi avec les restes du colonialisme, l'Islam et la stratégie des gouvernements. Garder cette enclave qui s'est ouverte sur le monde arabe est vital pour notre approvisionnement en brut et en matières premières, et majeur d'un point de vue militaire. Trafic de pétroliers, de navires de guerre, de marine marchande. Djibouti reste un point incontournable à la stabilité du Moyen Orient et je dirais mondiale.
Tadjourah, ville de Sultans, jadis ville du marché aux esclaves. Le Day, forêt millénaire perchée sur les montagnes du Goda à 1800 mètres d'altitude, un hectare de verdure sur une surface représentant la Bretagne. Obock, ancienne capitale du Protectorat, achetée en 1 862 par la France, mouillage qui fut convoité par tous les conquérants de la Corne de l'Afrique. Les ombres de Rimbaud et Monfreid planent sur cette ville, de par les récits et les souvenirs qu'ils y ont laissé, ancrés tels une légende dans la mémoire des plus vieux. le cimetière marin de 130 tombes anonymes blanchies à la chaux, alignées face à la mer d'un bleu magnifique, me rappelle que nul n'échappe à son destin, qu'il soit humble ou ambitieux. La vanité des conquêtes et les ambitions humaines trouvent toujours leur dénouement dans pareil endroit. je fut stupéfait par cette violente beauté, tantôt la mer d'un bleu turquoise rivalise avec le basalte d'un noir de mort et tantôt c'est le soleil qui se bat avec le sable du désert du Grand Bara. Tadjourah, Obock, le Day: un triangle inoubliable. La mer, les façades blanches, les plages de sable fin parsemées de crânes et de carapaces de tortues de mer. La forêt dont la fraîcheur permet d'oublier l'aridité volcanique, paysage de désolation, éternels remous de la croûte terrestre, qui rappelle que nous sommes sur une faille africaine des plus importantes. Enfin la vie! S'exclame-t-on lorsqu'apparaît la forêt de Day. Une bouffée de fraîcheur, flore et faune dans ce décor lunaire, la vie loin de la mort qui règne sur le désert, sous la chaleur omniprésente.
Troisième voyage à Djibouti
Mais j'ai appris à aimer pleinement Djibouti lors de mon troisième séjour en 1980. Ce pays renferme secrets, traditions, mythes, histoires et aventures. Des monstres marins seraient enfermés dans le Ghoubet et ne pourraient plus en sortir. On parle d'une raie manta géante que Cousteau serait venu observer d'une cage en métal lors d'une expédition pour explorer ces profondeurs étranges. Du haut d'Arta j'ai vu, un soir de garde, trembler l'ArdoukQba et ce volcan cracher sa lave incandescente, illuminant une nuit noire. Pendant cette période, je suis retourné à Ramda et au Day. J'ai profité d'un bivouac pour admirer de jeunes bergers et des femmes portant sur leur tête d'un port gracieux et fier des outres d'eau, vitale à leur existence. j'aperçus cynocéphales, civettes. De nuit, nous nous méfions des attaques des babouins qui n'hésitaient pas à pénétrer dans le bivouac pour voler notre nourriture. Généralement, ils vennaient s'alimenter dans la décharge voisine le long de la falaise.
j'ai ainsi découvert, peu à peu, les endroits qu'Henry de Monfreid a fréquenté dans ce pays qui fut partie intégrante de sa vie d'aventures, et j'ai pris goût à connaître celui qui hanta pendant plus de soixante ans ces rivages.
HENRY DE MONFREID
Henry de Monfreid (www.henrydemonfreid.com )
Né en 1879 dans l'Aude, Henry de Monfreid, qui échoua à Polytechnique, a exercé de nombreux petits métiers avant de courir le monde. Entre 1913 et 1947, son nom est connu du nord de l'Egypte aux rives de la mer Rouge. Si ses multiples voyages riment avec trafic de café, de peau, de perles, d'armes et de drogue, ils donnent en même temps libre court à sa vocation d'explorateur et d'artiste. Condamné à mort en Afrique, il a passé plusieurs années dans les geôles anglaises de la Côte pour ses activités et ses idées. Ami des Italiens, il a été déporté en Ethiopie, en Somalie puis au Kenya durant la seconde guerre mondiale. Il revient en France à l'âge de 68 ans et s'installe à Ingrandes, pittoresque village au coeur de la vallée de l'Anglin dans l'Indre, à la limite du département de la Vienne, où il termine ses jours à 95 ans. Henry de Monfreid, dont l'existence constitue une véritable saga, se plaisait à dire: 'j'ai eu quatre ou cinq vies d'homme" (*).
Les personnes que Monfreid fréquentait donnent une idée de sa forte personnalité, de sa curiosité et de son ouverture d'esprit. Il avait pour ami le bon jésuite Theillard de Chardin. Il le rencontra sur un navire des Messageries Maritimes, alors que le père philosophe se rendait en Chine. Ce dernier était paléontologue et participa notamment à la découverte du Sinanthrope de Pékin. Il nourrissait sa réflexion des connaissances qu'il acquérait dans ses recherches scientifiques. Henry le plaça sur un piédestal. Aucun autre homme, mis à part son père, n'aura d'influence aussi grande sur lui. Theillard deviendra son maître à penser. C'est Theillard et surtout Kessel qui ont entraîné Monfreid vers une carrière littéraire.
Le bon père entreprit de convaincre Paul Vaillant Couturier d'aider son protégé à se rendre au Turkestan. Paul Vaillant Couturier, l'un des dirigeants du Mouvement Communiste International et rédacteur en chef de "l'Humanité", faisait de nombreux voyages en Chine. Malgré les divergences existant entre le jeune député et l'aventurier, le courant passa. Grâce à ses relations puissantes et à une grande liberté de manoeuvre, cet homme influent permit à Henry de Monfreid de se rendre au Turkestan pour ses affaires.
D'autres personnalités seront importantes dans la vie d'Henry de Monfreid: Pierre Lamarre, l'un des responsables du Muséum du Trocadéro, l'abbé Henri Breuil, spécialiste de la préhistoire, Georges Henri Rivière, Paul-Emile Victor, Joseph Kessel, Jean Cocteau, Marcel Pagnol, Louis Nucéra ,..
(*) A lire deux biographies: "L'Incroyable Henry de Monfreid" de Daniel Grandclément, Grasset,
1990 et 1998; "Henry de Monfreid Flibustier de la mer Rouge" de Philippe Baraduc, Arthaud,1998.
Parmi les nombreux récits autobiographiques d'Henry de Monfreid, citons "Mes vies d'aventures, le feu de Saint-Elme", Robert Laffont, 1973; "Les Demiers jours de l'Arabie heureuse", NRF 1935;
"Du Harrar au Kenya", Grasset, 1953; 'journal de bord", Arthaud, 1984; "Lettres d'Abyssinie", Ecrits d'aventurier, T. l , Flammarion, 1999.
Mais la femme qui a le plus influencé et aidé Henry, c'est Armgart son épouse. Elle était son Ange gardien, son jardin secret, sa conseillère artistique et en relations publiques, sa première lectrice. Grâce à son intelligence et son sens artistique, elle a contribué à la carrière littéraire d'Henry. Cette complicité intellectuelle fondait leur amour. Mais Henry était aussi attiré par le côté sexuel des autres femmes: "la femelle"!
Monfreid, homme d'action intrépide et écrivain d'une grande fécondité, auteur de plus de soixante dix romans, a su aiguiser en moi le goût de l'aventure. Ses romans relatent son étonnante épopée: expéditions audacieuses, tempêtes, coutumes indigènes fines ou barbares, rivalités et ruses compliquées, bagarres, poursuites, prison, mais aussi chaleur humaine, car il était un remarquable capitaine meneur d'hommes dont l'équipage et les amis lui furent fidèles jusqu'à la mort. Ses détracteurs sont nombreux, sans doute à cause de cette existence exceptionnelle, tantôt vendeur, trafiquant, gentilhomme de fortune, joumaliste et pourquoi pas espion, peut-être franc-maçon puis Académicien postulant. La lumière qu'il a su apporter à ses récits, dans l'expression des couleurs et le portrait des acteurs de ses aventures, se retrouve avec ces mêmes talents et passion parmi ses aquarelles aux teintes plus douces, empruntes de la serennité de l'homme de réflexion par-delà l'homme d'action.
CAP SUR DJIBOUTI
Température, relief chaotique hanté par la silhouette d'Henry, je me suis juré d'y retourner avec la force de mon corps et de mon âme afin de me mesurer à ces conditions extrêmes. Peu à peu nan: en moi l'idée de partir effectuer un Raid Extrême en vélo tout terrain à Djibouti. Personne à ma connaissance ne l'a fait. Cette idée va mûrir pendant plusieurs années, temps qui me permet d'apprendre à préparer et monter le projet.
Réaliser un rêve
Un projet peut toujours germer dans la tête d'un homme, mais le faire vivre, lui donner un sens, le concrétiser n'est pas chose facile. Et pourtant, combien de personnes se sont manifestées dans des projets fous, des idées d'exploits, d'aventures, d'expéditions qui à terme ont permis de découvrir des paysages merveilleux, des pays encore inexplorés, des peuplades inconnues. Combien d'hommes se sont réalisés dans des limites jamais atteintes, des records battus que l'on croyait imbattables?
Au-delà de la réussite, un projet prend son essence dans les émotions, les sens de l'homme, il se nourrit des rêves, des aspirations ancrées au fond de l'âme. Désir de dépasser les limites de la réalité, intime conviction de faire avancer les choses, affirmation de soi dans la préparation et les différentes épreuves à traverser.
Mes motivations sont multiples, liées à mon attache à ce que j'ai vécu de l'histoire de Djibouti, au but sportif et à mon militantisme pour Génespoir, association française contre l'albinisme oculo-cutané que j'ai créée avec un collègue et à qui je verserai les profits dégagés par le RED.
J'ai emmené mon grand fils Raoul à la Faculté de Médecine Necker où est installé le CERTO, laboratoire de recherche sur les maladies de l'oeil, dans lequel travaille le chercheur qui effectue sa thèse sur l'albinisme. Je veux sensibiliser Raoul au travail que nous avons effectué depuis la création de Génespoir. Grâce à l'association, nous finançons un jeune chercheur, Olivier Camand, qui s'occupe spécifiquement de l'albinisme. J'ai confiance en lui. Nous sommes repartis du CERTO passionnés par le travail qui reste à faire, gonflés à bloc et pleins d'espoir pour l'avenir. Le plus important pour moi est d'aller au fond des choses, jusqu'au bout de mes idées.
Les objectifs sportifs ne pourront être atteints que si une certaine osmose existe entre les équipiers. Nous allons effectuer le premier tour de la République de Djibouti en V.T.T., sans oublier les portages obligatoires sur des points impraticables, soit 1054 kilomètres répartis en 14 étapes de 60 à 1 00 kilomètres à travers un relief désertique et lunaire où les températures oscillent entre 25 et 55° C. facteur à ne jamais négliger. Traverser le désert du Grand Bara, la banquise de sel du lac Assai où la température avoisine les 50° C, parcourir des dénivelés de 157 à +2010 mètres lors de l'ascension du Moussa Ali ou de celle du Bara Barré. J'ai connu ce pays, j'y ai souffert. j'espère être à la hauteur pour l'affronter de long en large. Cet objectif sera certainement le plus difficile à atteindre, mais nous nous y préparons depuis des mois.
Au-delà, j'ai conscience que mes motivations sont liées à mon parcours social, professionnel, à mon éducation, à mes sentiments et mes émotions, à mes opinions, à mes qualités et mes défauts. La plus secrète de mes motivations est de me dépasser à la moitié de ma vie, limites extrêmes où mon corps va souffrir, mon mental va être mis à rude épreuve. Enthousiasme de la vie, des émotions, des passions, joie intense, exigence d'affirmation, détermination à tracer mon propre destin et mesurer les conséquences du parcours que j'ai choisi, satisfaction de la victoire, raison de vivre, nécessité absolue de me sentir homme. Vivre entre le rationnel et l'irrationnel, duel perpétuel avec mes défauts, couper les entraves de la sédentarité, découvrir l'inconnu, flamme originelle qui anime l'esprit humain, sortir de la vie aseptisée pour enfin voler sans limites, sans frontières dans la poésie d'aventures non contées mais vécues. Réalisation d'un rêve, d'un exploit, non pas pour paraître, mais exister.
Projet fou, peut-être, projet grandiose, sans doute, passionnant, sûrement. Combien de personnes se sont vues décernées le qualificatif d'insensées? Léonard de Vinci, Ferdinand de Lesseps, Thomas Edison, Jules Verne, Pierre et Marie Curie, Einstein, Gérard d'Aboville... Des êtres intelligents, responsables, ingénieux, courageux, des hommes et des femmes qui ont fait avancer l'humanité dans sa quête de découverte, de dépassement et d'évolution. Merci à ceux qui ont su se donner des défis, qui à partir de leurs rêves ont réalisé des exploits. Ils sont les héros de notre civilisation. Je ne peux citer tous ces hommes et toutes ces femmes, mais je les prends pour modèles. Je me dis aujourd'hui qu'ils me donnent l'énergie et l'émulation nécessaires à la réalisation de ce projet. Je me dois de réussir pour leur rendre hommage et prouver que lorsqu'on veut, on peut.
La plupart du temps, l'homme ne cherche pas à se dépasser pour le bien de l'humanité, mais préfère utiliser les autres, les assouvir, les diminuer pour en extirper un certain pouvoir. Défier la nature, se sacrifier soi-même, c'est participer à l'évolution de la vie. Faire avancer les techniques, la médecine, la science, la culture en s'investissant dans des projets qualifiés d'invraisemblables permet à l'humanité d'évoluer. Une force intérieure m'anime, je dois participer à cette quête. La vie n'est qu'un passage sur terre, on se doit tous de participer à l'évolution et de faire que ce passage soit le plus fructueux possible.
Je trouverai mille excuses, mille raisons pour assouvir l'appel de l'Afrique. Cette volonté farouche qui a permis à l'homme de s'extraire de sa propre enveloppe, de se développer et d'évoluer, m'anime pour chercher à repousser mes limites et me mesurer aux éléments hostiles de ce pays. Je suis certain que je sortirai grandi de l'expérience. Cette quête au plus profond de moi me permettra peut-être d'annihiler la pulsion qui m'anime, car nul ne peut dire qu'il existe de frontière à l'appel du défi. Le dépassement de soi n'étant pas l'exclusivité de quelques initiés, je me sens capable aujourd'hui de prendre les choses en main. Je suis mûr pour la réalisation de mon rêve.
La préparation du projet
Une de mes qualités est de savoir m'organiser, d'être pointilleux sur chaque détail. J'aime la recherche de la perfection, le travail bien fait, une mécanique bien huilée. Aussi le R.E.D., mûrement réfléchi depuis quelques années, se doit d'être une réussite. Je suis avide d'atteindre les objectifs que je me suis fixés.
j'ai ainsi décidé, après quelques raids en V.T.T., de me lancer vers la véritable aventure. je connais les rouages de l'association Loi 190l, je sais chercher des partenaires, j'ai l'expérience de l'organisation de galas internationaux de boxe et de quatre "défis pour l'espoir" au profit de l'association Genespoir. Je suis prêt mentalement et physiquement à monter mon propre projet.
Il se peaufine avec la détermination des objectifs sportifs, scientifiques, culturels, environnementaux et humanitaires. Me documenter, réunir un carnet d'adresses, choisir l'itinéraire, le tracer sur carte, lister le matériel, organiser la logistique, établir le budget prévisionnel, cibler les sponsors, prévoir le dispositif relations-presse, choisir l'équipe. Photocopies, brochage, etc... Enfin le R.E.D. est couché sur le papier, des jours et des nuits à plancher pour élaborer la plaquette définitive qui sera envoyée aux futurs parrains. Quel pas gigantesque franchi. Réunir le matériel et la logistique implique un investissement digne du rôle de chef d'entreprise, car c'est bien une petite entreprise qui est créée, qu'il va falloir gérer et qui attend de nous les résultats escomptés. Les premiers jalons posés, le plus dur reste à faire. L'humilité m'accompagne.
Je suis heureux de sentir l'émulation d'une équipe qui se crée autour de moi, de plus en plus de personnes séduites, qui croient en mon projet. Chacune d'elle compte et me donne confiance.
J'ai mis mon fils Raoul dans le coup, sans hésitation, il est partant pour m'accompagner. Je suis très heureux, je ne voyais pas meilleur équipier dans cette épreuve. je crois qu'il est fier mais ne réalise pas l'importance de ce raid pour moi à la veille de mes quarante ans. j'espère qu'il lui apportera une grande maturité. Lui aussi a besoin de dépasser ses limites. Rien de mieux que de partager des moments forts pour se sentir plus proches l'un de l'autre.
Mon ami et collègue Philippe m'accompagne dans mes démarches, notamment pour rencontrer Amélie, la fille d'Henry, qui préside l'Association Ingrandaise Henry de Monfreid. après un certain scepticisme quant à nos intentions, elle a trouvé le projet passionnant. Je ne peux écrire ces lignes sans parler de Philippe.
C'est mon "petit frère", nous sommes unis comme les doigts de la main, nous sommes complices, en amitié comme au travail depuis des années. j'ai une confiance absolue en lui. C'est lui qui m'a donné le virus du vélo. Il a été champion d'llle et Vilaine, a fait partie de l'Equipe de France et gagné de nombreuses courses. C'est un sportif de haut niveau, un homme généreux, très solide, taillé dans le roc. Il tient une place importante au sein de Génespoir, que nous avons créé ensemble et dont il est responsable de la communication des manifestations organisées au profit de l'association. Nous nous complétons très bien de par nos différences. Je lui porte un très grand respect et suis fier de notre amitié sans pareille. Toutefois des impératifs l'empêchent de m'accompagner comme coéquipier à Djibouti. C'est Florent, un autre collègue de valeur, qui sera mon partenaire sportif.Nous sommes une équipe. L'esprit de motivation qui nous anime est un facteur essentiel pour la réussite de cette expédition. La distribution des rôles a été faite.
Florent s'occupe du transport, de la logistique et sera mon équipier sur le raid pour atteindre les objectifs sportifs. Tri-athlète, il a une excellente condition physique. Raoul s'occupera du reportage vidéo-photo et des arrivées d'étapes. je supervise l'organisation et travaillerai les enquêtes et les relations publiques sur place.
j'ai envoyé au mois d'août 1998 le dossier à l'Ambassade de Djibouti en France, dont j'attends l'appui logistique sur le terrain. je m'y rends le 29 octobre suivant, accompagné de mon fils Raoul, pour savoir s'ils ont reçu la plaquette, car aucune réponse ne m'est parvenue depuis son envoi. Le drapeau de Djibouti flotte au-dessus de nos têtes, des souvenirs reviennent à ma mémoire. je me rappelle l'avoir hissé sur le mat de la place d'honneur à Arta, au côté du drapeau français. Bien que l'heure d'ouverture des bureaux soit passée, nous décidons de tenter notre chance. Nous nous présentons à l'interphone, sous l'oeil des caméras de surveillance. La porte d'entrée du 26 rue Emile Menier, superbe bâtisse du 16 ème arrondissement à Paris, s'ouvre. Deux Djiboutiens, gardes de sécurité, nous accueillent. Un des gardes prend contact téléphoniquement avec le service culturel, qui a du mal à retrouver la plaquette que je leur ai envoyée. je propose de leur en donner une autre et commence à présenter notre projet.
je déplie la carte IGN de Djibouti, que j'ai pris soin d'apporter avec moi, sur le bureau du poste de garde et commente le trajet du R.ED.. j'essaie de captiver l'attention des deux gardes en attendant que le service culturel se manifeste. Ils me demandent quand j'ai séjourné à Djibouti et quelle profession j'exerce. Ils s'étonnent de mes connaissances sur le pays et mon intérêt pour ce dernier. je leur expose mes motivations et mes objectifs. Ils sont très fiers de m'entendre leur parler de Djibouti et, enthousiastes, trouvent mon projet très bien ficelé.
Une personne arrive dans la pièce alors qu'un des gardes propose d'aller me chercher l'adresse des différents ministères de Djibouti, celle de l'Office du Tourisme et une plaquette qu'il édite. Le Djiboutien qui vient d'entrer s'intéresse à la conversation et me demande si les personnes des forces de police que j'ai contactées à Djibouti m'ont répondu. Il s'avère qu'un Djiboutien, avec lequel j'ai fait un stage d'animateur sportif, n'est autre que son beau-frère Yacine qui est responsable de la formation au sein des Unités de la Police Djiboutienne. Luimême se présente, "Ueutenont de Police Mohomed", et me propose de prendre la plaquette afin de la remettre en mains propres au responsable du Ministère de l'Intérieur de Djibouti chargé des sports.
Le courant est bièn passé, mon fils est épaté. La rencontre est très importante, d'elle dépend une grande partie de la logistique sur place aux arrivées d'étapes. Le projet plaît et séduit les Djiboutiens de l'Ambassade. j'espère qu'il en sera de même avec les sponsors. Nous repartons heureux du grand pas qui vient d'être franchi.
Le 7 septembre 1998, je reçois un courrier important de Monsieur jean-Louis Cheminée, directeur des Observatoires Volcanologiques de l'Institut de Physique du Globe de Paris. Il me fait part des difficultés que je pourrais rencontrer dans la région du Moussa Ali, liées à l'instabilité politique. Il m'informe qu'une coopération existe avec l'Institut Supérieur d'Etudes et de Recherches Scientifiques et Techniques (ISERST) de Djibouti et qu'un observatoire de géophysique est en place à Arta. Des équipes travaillent régulièrement à Djibouti en géophysique et tectonique. Concernant la géothermie, le directeur de l'ISERST, Monsieur Anis Abdalah, vient de soutenir une thèse sur ce sujet. Je suis agréablement surpris de constater que les zones volcaniques que j'ai choisies correspondent à celles qu'il me recommande de visiter.
Je ne parlerai que très peu de la préparation physique, mentale et technique" qui est pourtant primordiale. Ce sont des sacrifices de temps, de loisirs, de plaisirs. Vous doutez sans cesse de vos capacités à dépasser vos limites physiques, techniques, psychologiques. Je fais du sport depuis mon plus jeune âge et j'ai eu la chance d'exercer des métiers qui nécessitaient toujours une préparation physique et mentale rigoureuse. Mais pour effectuer une telle expédition, à pied et en V.T.T, sous le climat et avec le relief de Djibouti, il faut atteindre un haut niveau physique. Avaler des kilomètres de route, des heures de selle sur des terrains variés, associer également des parcours techniques accidentés où le portage devient obligatoire. Depuis cinq ans, j'ai la passion du V.TT. et depuis un an je compte les kilomètres. Je veux atteindre à la fin 1999,4.000 kilomètres d'entraînement v.T.T..
Parallèllement, j'effectue deux ou trois sorties de course à pied par semaine: en général une sortie d'une heure quinze et deux sorties de quarante cinq minutes. j'adore, parmi ces trois sorties de course à pied, faire un parcours naturel dans la vallée du Boël où le terrain est accidenté. La priorité est d'acquérir un bon entraînement foncier. Si la masse de travail que mon corps accepte est phénoménale, je dois néanmoins rester vigilant, car une blessure grave remettrait tout en question. L'endurance prend une place prépondérante dans cette préparation, elle forge le mental, mais il ne faut pas négliger la résistance. Je la travaille spécifiquement sur la piste du stade en faisant des séances de fractionnés 200 mètres rapide, puis 200 mètres retour au calme. j'essaie également, selon l'emploi du temps que me permet mon travail, de faire deux séances de musculation par semaine: une séance où je travaille avec le poids de mon corps (tractions, pompes, abdominaux, deeps, flexions de jambes, squatts); et l'autre où j'utilise des charges additionnelles. Je suis partisan d'une musculation généralisée naturelle et athlétique, plutôt qu'une prise de volume inconsidérée et difforme. Une séance de natation avec un bon sauna de temps en temps décongestionne les muscles et relaxe l'esprit. L'entrai'nement est devenu pour moi une nécessité indispensable. Pour réussir, je dois me préparer à surmonter la souffrance, forger mon corps et mon mental aux difficultés qui m'attendent. Nul doute qu'elles seront nombreuses.
A quelques mois du départ, je garde tout mon optimisme. Les choses se présentent plutôt bien. Peugeot Cycles International nous sponsorise pour tout le matériel et les accessoires V.T.T, leur dotation est très généreuse. Nous attendons la réponse pour le transport, qui pourrait se faire avec l'Armée de l'Air ou Air France. La réponse tarde, je m'impatiente, d'autant que le fret risque de coûter cher.
Il ne se passe pas un jour où je ne pense au projet. pas un jour où Henry de Monfreid ne soit présent. Sacré Henry, tu as su réveiller en moi tant de désirs enfouis. Je bous d'avancer. En attendant je me documente, je cherche de nouvelles pistes pour attirer des sponsors, je démarche pour boucler le budget. Qui voudra nous faire confiance ?
j'ai hâte d'être dans l'avion, le matériel chargé et tout le reste bien calé, bien organisé. C'est dur d'attendre ce départ tant espéré, mais cela me permet de bien réfJéchir à tous les détails qui auront une importance vitale lorsque nous serons livrés à nous-mêmes dans le désert, loin de tout. Faire une erreur ici peut nous être fatale à 8000 kilomètres de la France.
LE PROLOGUE
Afin de faire partager cette aventure à ceux qui me soutiennent et m'aident à monter ce projet, je décide d'organiser un prologue à Rennes le samedi 27 et le dimanche 28 mars 1999. J'imagine une réception bien orchestrée avec l'exposition de quelques aquarelles et quelques livres d'Henry de Monfreid présentés par sa fille Amélie, marraine du R.E.D., la distribution de plaquettes du musée d'Ingrandes, 50 kilomètres en VTT sur les quais pour arrondir à 1000 kilomètres le Raid Extrême Djibouti, une séance photographique pour médiatiser au mieux l'événement et, pour clôturer, un pot de l'amitié et relations publiques afin de faire connaître aux amis et médias nos parrains et sponsors, ainsi que Genespoir.
Je suis heureux de recevoir comme invitée exceptionnelle Amélie, qui m'a prêté 4 aquarelles peintes par son père: "Obock et le Ras bir" 1924, "Salon à Diré Daoua" 1927, "Le point d'eau et la palmeraie d'Obock" 1928, "Pêcheur de perles en mer Rouge" 1928 et une photo "Les trois âges d'Henry de Monfreid". Pendant ces deux jours, Amélie a répondu à de nombreuses questions des visiteurs, allant elle-même au-devant d'eux pour donner des renseignements sur Henry. En mémoire de son père, elle est contente de participer au lancement du raid, femme pleine d'enthousiasme et d'entrain.
Lors de notre rencontre à Paris, le petit-fils d'Henry, Guillaume de Monfreid, a écouté avec intérêt mes explications sur le R.E.D., Génespoir et la possibilité de faire une exposition avec les aquarelles de son grand-père. Il ressemble à sa tante Amélie et surtout à Henry: sec, cheveux gris, visage émacié, un aplomb et une intelligence de famille, sans parler d'un sens artistique. Lui aussi peint et fait des croquis. Architecte international, il a matière à dessiner lors de ses voyages. Pour amplifier l'exposition, il me propose de me prêter 29 croquis personnels de voyages. Il me conseille d'élargir cette exposition à un thème plus général, "le voyage et l'aventure". Les couvertures des livres d'Henry de Monfreid récupérées auprès des éditions Grasset sont encadrées en 42 tableaux par un partenaire local. Des affiches des principaux pays bordant la mer Rouge sont installées: Djibouti, Ethiopie, Egypte, Yémen, Israël, Jordanie. Figurent aussi des cartes de la Corne de l'Afrique afin de situer Djibouti, le tracé prévu du raid, des affiches sportives de VIT et d'escalade.
Guillaume de Monfreid nous suggére aussi d'inviter Philippe Baraduc. L'exposition est ainsi animée par une vente dédicace au profit de Génespoir du livre qu'il vient d'écrire, "Henry de Monfreid Flibustier de la mer Rouge", magnifique ouvrage riche d'illustrations dont le fond égale la forme. Philippe Baraduc a connu Henry de Monfreid de 1962 à 1974.
Producteur,réalisateur et auteur de nombreux films de télévision depuis 1963, il a travaillé avec Chabrol et a notamment produit "Les secrets de la mer Rouge". Il a réalisé "Vieux Pirate", un portrait de Monfreid pour l'émission "Un siècle d'écrivains" sur France 3. Faire connaissance avec cet homme qui a côtoyé Henry de Monfreid a enrichi mes connaissances, ma compréhension du "Flibustier", et apporté une motivation supplémentaire au projet.
Cependant, le résultat de l'exposition est mitigé car il y a peu de visiteurs le samedi. Sans doute le lieu, un local de la gare de Rennes, était mal choisi, mais je n'ai pas eu beaucoup de possibilités. Enfin l'objectif essentiel est atteint: au-delà du recueil de dons pour Génespoir, nous avons fait connaître l'association, Henry de Monfreid, le raid et avons réunis amis et sponsors.
Les jours passent. Je doute parfois de mes capacités à tout gérer, à assumer ce rôle d'organisateur, mais mon ange gardien est tout prêt de moi, et alors, une vague immense d'énergie déferle en moi. Je suis métamorphosé, une dynamique étrange me guide, m'appuie, m'encourage. J'ai envie d'atteindre mes objectifs, envie de conquérir cette terre qui m'a fait renaître.
Enfin voici la veille du départ tant espéré. J'ai le feu en moi, l'impatience de l'enfant qui attend le soir de Noël, l'angoisse de l'examen et le stress qui entoure la réussite à un concours. Je reste néanmoins serein. J'aimerai que tout se passe au mieux, mais nul n'est devin et pour moi l'inconnu reste le piment de l'aventure.
L'APPEL DE DJIBOUTI
Je suis prêt à affronter la fournaise et aller conquérir la sentinelle de la mer Rouge. J'ai hâte de traverser une des régions les plus sauvages du monde où le soleil vous brûle jusqu'à l'âme. Quand on se trouve dans le Grand Bara, on aperçoit l'horizon si intensément vide qu'il arrive que des mirages surgissent. Je veux aller au plus vite rejoindre les eaux vertes du lac Assal et la blancheur intense de sa banquise de sel où les dernières caravanes partent encore pour livrer l'or blanc sur les hauts plateaux d'Abyssinie. Au pied du lac, l'épaisse croûte de sel réverbère la lumière à 153 mètres sous le niveau de la mer, le thermomètre oscille régulièrement autour des 50° C, mais n'empêche en rien la présence insupportable de goulus moustiques. Certains diront que Djibouti est l'enfer, une étuve, l'un des endroits les plus chauds du globe, mais quelle violente beauté!
Je suis impatient d'atteindre ce port du bout du monde que ma mémoire a blotti une nuit au creux de mes paupières. Djibouti, tes senteurs parfumées émanant des épices me manquent, les hommes sont ivres de qat, cette feuille euphorisante rend la cité nerveuse quand il en manque et appauvrit la population. Tes femmes sont bouleversantes de beauté, drapées dans des robes soyeuses et multicolores que l'on appelle saros, semblables aux saris des déesses indiennes. Tes paysages à couper le souffle sont devenus pour moi une obsession.
Terre bouleversée, crevée de failles profondes où par endroit le manteau terrestre n'a que 5 kilomètres d'épaisseur et donne naissance à des zones volcaniques tel le rift d'Assal, avec le volcan Ardoukôba que nous irons visiter sans hésitation, ou le rift de Manda Inakir plus au Nord Est. Je n'oublierai pas les fumerolles du lac Abbé liées au volcanisme du Dama Ale sur le bord ouest du lac.
j'ai hâte de voir Tadjoura, sa petite histoire soeur de la grande histoire éthiopienne. Rien n'y a bougé depuis quelques siècles, y vivent encore de grandes familles descendantes des anciennes dynasties négrières. Tadjoura vient du mot Tagora, "l'outre en peau de chèvre", car l'eau descend des monts Goda et Mabla. Goda, seul point de verdure avec la forêt du Day autour de Djibouti. Magie des noms, magie des lieux. J'irai vous voir, îles du Diable, carrefour où croisent les pas de Rimbaud, Monfreid et Joseph Kessel. Ce dernier vous évoque dans "Fortune Carrée". On les a baptisées Iles du Diable" pour qu'elles fassent peur et que personne ne s'y aventure. Elles pouvaient ainsi servir d'entrepôt aux trafiquants au fond du golfe de Tadjoura. J'ai une envie irrésistible de me rendre dans ta forêt primaire du Day, y recueillir la fraîcheur des genévriers géants, oliviers sauvages, jujubiers opulents. Les arbres s'étirent vers le ciel, contraste incroyable avec la sauvage beauté de tes paysages désertiques.
Djibouti m'a envoûté par sa beauté, mais aussi par sa dureté. L'appel du Grand Nord, l'appel de l'Océan, l'appel des Sommets, ça ne s'explique pas, ça se sent au fond des tripes, c'est ancré dans votre esprit, fait partie de vos rêves d'enfant, de vos fantasmes.
La Corne orientale de l'Afrique et les bords de la mer Rouge constituent un haut lieu de l'histoire de l'homme. Les lieux saints sont tout proches. C'est à travers cette mer ouverte par Moïse que les hébreux échappèrent à leurs poursuivants et rejoignirent l'Egypte... Cette mer me fait rêver, depuis l'ouverture du Canal de Suez elle a permis des échanges plus rapides et plus importants entre le Nord et le Sud. Depuis la mer du Nord, on peut faire le tour du monde en empruntant cette ouverture, Suez, mer Rouge, océan Indien... Djibouti est la matière; à moi, à nous de savoir la travailler.
JOURNAL DE BORD
Réveil matinal à 03h45. Rangement des dernières affaires personnelles, chargement des cantines, valises, sacs de voyage et trousse à pharmacie. Direction le Commissariat pour récupérer une paire de basket, puis chez Philippe où se trouvent les VTT.
05h00: Philippe nous emmène, Raoul et moi, à l'aéroport de Rennes Saint Jacques.
Le contrôleur ne veut pas enregistrer les bagages en excédant de poids. Nous avons besoin de l'aval de la compagnie BRIT AIR qui doit nous transporter jusqu'à Roissy Charles de Gaulle.
05h35: Enregistrement du fret. Philippe nous accompagne jusqu'à la salle d'attente. Il est fatigué, ou bien est-il malheureux de ne pas être du voyage?
06h05: Nous discutons avec le fonctionnaire de la P.A.F. (Police Aux Frontières) sur les événements tragiques du Kosovo et les risques d'un conflit mondial. L'avenir se présente mal. C'est triste et gâche la fête du départ.
06h20: Pas de problème au décollage de l'aéroport Saint Jacques. Raoul est très heureux, c'est son baptême de l'air. Il fait 3°C au départ et nous approchons les 8°C à l'arrivée. Le futurisme de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle me donne l'impression d'une autre galaxie.
07h20: Je m'impatiente de retrouver Florent et m'inquiète de ne pas le voir. C'est sans compter sur sa ponctualité puisqu'il était déjà là, mais était parti à notre rencontre en ratant notre sortie.
08h00: Devant le Terminal d'enregistrement pour Djibouti, nous avons l'agréable surprise de constater qu'une escale est prévue à Djeddah en Arabie Saoudite. Florent est fatigué. Il n'a pas bien dormi, inquiet de rater le départ et surtout énervé devant l'aventure que nous allons vivre. Nous sommes tous les trois fatigués, mais tellement heureux. Je suis fier de concrétiser mon vieux rêve et ce projet fou.
10h00: Nous pénétrons dans l'Airbus A 310 vol AT 538 en direction de Djibouti. Les hôtesses nous accueillent et cherchent à savoir si les VIT embarqués en soute nous appartiennent. Elles sont pleines de curiosité sur notre destination et le but du voyage. Nous échangeons quelques mots, l'une d'elles nous propose un contact en poste à Djibouti au M.A.E. (Ministère des Affaires Etrangères). Une autre, aguicheuse, nous questionne sur notre profession. Je lui réponds que nous sommes représentants en confitures chez Bonne-Maman et Andros. Elle repart vexée et Raoul me reproche de lui faire manquer un bon coup.
11h00: Nous avons une heure de retard au décollage, des passagers prévus sur les listes d'embarquement manquent. 11h20 : Enfin, nous voilà partis!
12H00: Je lie connaissance avec le Djiboutien qui est assis à mes côtés. C'est une chance et déjà une ouverture pour notre reportage. Il appartient au Ministère de l'Economie de Djibouti,où il s'occupe de la lutte contre la pauvreté. Il a vécu dix ans en France pour ses études et voyage à travers le monde pour acquérir une expérience professionnelle, afin de la mettre à profit dans son pays. Il parle très bien notre langue. Très sympathique, le courant est passé. Son père était gendarme et son grand-père a fait la guerre pour la France en 1914-18. J'aime bien ce genre de personne, très ouvert, d'une moralité exemplaire, j'ai tout de suite senti qu'il était sain. Je lui présente le Raid Extrême Djibouti. Il est enchanté et me donne sa carte afin que nous puissions organiser un rendez-vous pendant notre séjour. Il m'indique qu'est présent dans l'avion le Djiboutien détenant les meilleures performances mondiales de marathon, Hamed Salé, qui plus tard vient nous saluer.
13h00: Repas à base de volaille servi dans l'avion. Nous sommes affamés et demandons un plateau supplémentaire.
18h30: Nous approchons de Djeddah. Annonce nous est faite de cacher alcool, journaux ou revues à connotation sexuelle, en raison du contrôle effectué par la police saoudiene dans l'avion. Nous remarquons que toutes les femmes descendant à l'escale de Djeddah enfilent une djellaba et se voilent. L'Islam et la Mecque ne sont pas loin.
19h00: L'aéroport de Djeddah est magnifique, constuit en chapelet de tentes de nomades entouré de palmiers. Le décollage sur Djibouti est annoncé. Nous attachons nos ceintures. Fatigue et chaleur se font sentir. Nous survolons la mer Rouge et suivons le tracé du vol sur les écrans de télévision. La précision du logiciel d'Air France est formidable. Sur la carte, la Corne de l'Afrique et la péninsule Arabique. Nous commençons à croire à l'aventure: dans 1 h40, nous serons à Djibouti.
21 h20 : Nous y voilà, Djibouti! A la descente d'avion, une bouffée de chaleur tropicale et la nuit étoilée me saisissent, ému.
21 h30 : Après quelques minutes dans le hall de l'aéroport, un homme se détache des personnes qui attendent. C'est Jean-Philippe, mon contact à l'Ambassade de France à Djibouti où il est agent de sécurité. Il nous annonce dans un premier temps de mauvaises nouvelles: pas de 4X4, interdiction de se rendre dans le nord pour cause de guerre Erythréo-Ethiopienne. Nous sommes fatigués, la température avoisine les 30°. Groguis, démoralisés, c'est un coup de massue qu'il nous assène. Il nous rassure en nous affirmant qu'il fera tout son possible pour mener à bien le raid. Dehors, devant l'aéroport, son épouse Cécile nous attend pour charger le matériel dans un Trafic. Nos Vtt sont arrivés sur les escaliers de la salle de transit. Les cartons ne passent pas sur le tapis roulant. Nous les récupérons et les embarquons dans le véhicule. Les Djiboutiens se posent des questions sur notre arrivée. Un policier en civil nous demande si nous sommes des journalistes. Je réalise que nous sommes en pleine campagne pour l'élection présidentielle, période d'instabilité. Nous nous répartissons entre le Trafic et le 4X4 du couple, puis nous dirigeons vers la Résidence Marco Polo, où habitent nos nouveaux amis, sur le Plateau du Serpent non loin des bâtiments de l'Ambassade. Super contact, accueil exemplaire, rien à dire. Des gens extra.
C'est formidable, cet accueil et cette gentillesse spontanée. Jean-Philippe et Cécile nous ont même préparé un repas. Nous nous installons, mangeons et discutons tous les cinq ensemble. Ils nous mettent très vite à l'aise. Nous parlons jusque tard. La fatigue m'alourdit les paupières et l'esprit. Nous dormons tous trois dans la même chambre. La nuit est agitée, il fait chaud. Nous parvenons à dormir sur nos lits découverts grâce à la climatisation.
Jeudi 01 avril
Je me suis réveillé vers 5 heures. Je me recouche et me réveille à 6h45. J'ai faim.
Je me lève et file prendre une douche appréciable plus que tout.L'eau est fraîche,quel bien être. La table est déjà mise et le petit déjeuner servi. j'avale un grand bol de café et dévore des tartines de confiture. Nous devons trouver aujourd'hui une solution pour le 4X4. Tous ceux qui étaient libres ont été réquisitionnés pour la campagne électorale. Jean-Philippe nous propose d'aller voir le conseiller de l'Ambassade pour nous signaler en cas de problème grave. Il nous préviendra dès qu'un rendez-vous sera fixé. La matinée est consacrée à la préparation des VTT et à l'inventaire du matériel. J-P nous appelle à 10h45: le rendez-vous avec Monsieur le Conseiller de l'Ambassade de France est prévu à 1lHOO.
Djibouti est devenu très pauvre. Dans la rue autour de nous, des enfants nous demandent des bakchich. j'ai le souvenir d'une ville un peu plus florissante et propre. Tout est très sale, dégradé, les taxis sont de véritables tas de tôles ambulants. Nous passons devant l'Ambassade des Etats-Unis, entourée de blocs de béton, de caméras, de grilles et barbelés, un bunker très bien entretenu. Nous longeons l'Hôpital Pelletier. Quelle misère! Au poste de garde de l'Ambassade de France il faut montrer patte blanche. J-P vient nous accueillir et nous dirige vers le bureau du conseiller. Mon premier contact avec une Ambassade de France à l'étranger. Je trouve l'endroit militarisé, mais la situation actuelle entre l'Ethiopie et l'Erythrée le justifie sans doute.
Monsieur le Conseiller nous reçoit. Je lui expose le projet, les buts et les motivations du Raid Extrême Djibouti, ainsi que le trajet et les possibilités d'adaptation à la situation géopolitique du moment. Je lui parle de Génespoir et de l'albinisme. Il semble intéressé, mais l'accueil reste froid. Je soulève le problème du 4X4, sans aucune réaction. Je laisse tomber. j'ai l'impression de m'adresser à une porte ouverte à tous les courants d'air. Au terme de l'entretien, nous obtenons le numéro de téléphone du Chef d'Etat Major des armées françaises stationnées à Djibouti. Redescendus au poste de garde, l'officier de sécurité essaie de nous obtenir un rendez-vous avec l'Etat Major de l'Armée, sans résultat.
Nous repartons. J-P m'a avancé des francs djiboutiens (FD) pour me rendre en taxi à l'Office National du Tourisme et de l'Artisanat de Djibouti (ONTA) où j'ai pris contact depuis quelques mois. Raoul et Florent poursuivent à pied jusqu'à la résidence Marco Polo, alors que je m'engouffre dans un taxi pourri blanc et vert croupissant contre le trottoir près de l'ambassade. La chaleur commence à me faire transpirer, il est 11h45. L'intérieur du taxi ressemble à une épave. Moussa démarre sa poubelle en shuntant les fils. Je ne me sens pas rassuré dans ce cercueil roulant.
Après être passé au bureau de change pour faire de la monnaie, place Ménélik, je me présente à l'accueil de l'ONTA avec la lettre que le directeur m'avait envoyée. Mohamed Abdillahi me reçoit. Il est au courant du RED., mais m'annonce d'entrée de jeu la mauvaise période qui nous attend en raison de l'élection présidentielle. Il est néanmoins prêt à nous aider.
Il ressort de la conversation que si nous changeons la date de départ du raid VTT, nous aurons à disposition un 4X4 avec chauffeur. Je lui demande s'il est possible d'avoir un laisser-passer pour les régions du nord afin de ne pas avoir de problème d'interdiction de zone. II ne dépend pas de lui mais du Ministre du Tourisme, qui est en campagne électorale. Je lui confie la liste des visites et enquêtes que nous souhaiterions réaliser pour le reportage vidéo-photo. Il s'empresse de la faire photocopier et m'indique qu'il fera son possible pour qu'elles se passent sur deux jours la semaine prochaine. Je suis finalement satisfait de cet entretien. Je repars avec Moussa qui me dépose à la Résidence Marco Polo à 13h30.
J-P, Cécile, Raoul et Florent prennent l'apéritif en compagnie de deux militaires de la Coopération. Ils m'annoncent de bonnes nouvelles, les militaires sont prêts à nous aider via l'Armée Nationale Djiboutienne. Nous leur remettons la carte sur laquelle figure notre trajet ainsi que le road book, afin qu'ils puissent étudier les possibilités d'hébergement et d'accueil aux différentes étapes. Ce qui est extraordinaire, c'est que J-P vient tout juste de faire leur connaissance après notre passage à l'Ambassade. La chance est peut-être avec nous, Florent et Raoul ont retrouvé le sourire. Nous passons à table à 14h00. Cécile nous gâte: viande de boeuf d'Ethiopie et pommes de terre au four, crème dessert. Nous discutons longuement tous les cinq.
A 15h30, J-P et Cécile vont faire la sieste, Raoul également. C'est la pleine chaleur. Florent et moi préparons notre nouvel itinéraire. Florent s'intéresse d'avantage au fonctionnement de son GPS Magellan Tracker. Une heure après nous partons à la banque Indo Suez pour effectuer du change. Ils nous disent que la Carte Bleue ne fonctionne dans aucune banque. Nous traversons la route vers la BNP, où il n'y a aucun problème pour effectuer des retraits avec la CB Visa. Quels roublards!
Nous décidons d'aller faire quelques prises de vue du chemin de fer Djibouto-Ethiopien qui relie Djibouti à Addis Abeba. Il permet au pays voisin l'Ethiopie d'avoir un débouché sur la mer. Les rails posés en 1917 ondulent, déformés par des températures oscillant entre -2° C et +60° C. La ligne n'a par endroit jamais été rénovée. Trésor ou enfer, elle coupe l'extrême solitude que l'on peut ressentir loin de la capitale. Face à la gare, les gens sont assis, agglutinés par petits groupes. Nous entrons dans cet édifice colonial construit par la France, quelques photos et nous ressortons en même temps que l'équipe junior de football de Djibouti vêtue de jaune qui vient d'arriver, mêlée à un troupeau de chèvres qui déambule sur les rails. C'est le jour et l'heure d'arrivage du qat. La livraison s'effectue quotidiennement par un avion en provenance d'Ethiopie, pays producteur de cette drogue. Tous les Djiboutiens commencent à mâcher l'herbe verte euphorisante, opium du peuple. Nous comprenons l'un des enjeux de la situation géo-politico-économique. Djibouti, dépendante de son fournisseur l'Ethiopie, lui laisse l'accès à la mer.
J-P et Cécile sont à la recherche d'une barque motorisée. A l'entrée du port, il faut montrer sa carte et le garde nous demande d'éteindre nos codes qui l'éblouissent. Il est 19 heures et il fait déjà nuit. Nous visitons trois barques en vente. J-P et Cécile commentent les avantages et les inconvénients de chacune, puis nous repartons vers le centre de Djibouti. Nous faisons une halte pour acheter du pain local. Il est bon, un peu brioché. Les enfants de Djibouti se nourrissent de ce pain qu'ils trempent dans une sorte de sauce tomate épicée.
Place Ménélik, les souvenirs traversent ma mémoire. Quelle déception de constater alentour la dégradation de la ville. A la descente du 4X4, nous sommes assaillis par des vendeurs à la sauvette et une flopée d'enfants. "Bakchich worio 1 Donne l'argent 1". Ils arrivent de partout.
Nous nous arrêtons acheter des cartes postales aux vendeurs à la sauvette. Ils présentent leur marchandise dans de belles bOITes confectionnées avec des cartons de récupération qu'ils portent devant eux, tenues par une ficelle autour du cou, comme les ouvreuses de cinéma. Des allumettes, des cigarettes, des lunettes, des petits objets, des cartes postales, des enveloppes composent l'achalandage. j'ai comme interlocuteur Mogué. Il parle bien le français et me présente son paquet de cartes postales. Raoul et Florent cherchent également, entourés d'autres vendeurs. Nous choisissons en marchandant le prix. j'obtiens une carte postale gratuite et les enveloppes pour la dizaine que je prends. Mogué est heureux. Des vendeurs de tapisseries viennent nous proposer leur marchandise, des enfants arrivent de partout. Montres, cigarettes, cireurs de chaussures, bijoux, tout nous est proposé. Nous accompagnons Cécile chercher des cigarettes, elles sont moitié moins chères qu'en France. Un ancien armé d'un bâton, voulant chasser les vendeurs ambulants hors de la boutique, met un coup sur les fesses de Cécile. Incident diplomatique très vite réglé par le patron qui vient s'excuser.
Une nuée de mendiants nous entoure. Une jeune fille même pas 16 ans tient un bébé dans ses bras, enveloppé dans les plis de son sari de cotonnade multicolore. Sous le tissu qui lui couvre la tête, j'aperçois une gentille petite frimousse noire implorante. Elle revient plusieurs fois à la charge. Je craque, je n'ai jamais vu un petit bébé aussi gracieux. Je lui donne 50 FD, ce qui équivaut à 1,60 francs environ. Avec cette somme, elle pourra acheter du pain, la baguette vaut ici 60 centimes. Nous repartons, elle est souriante et nous salue. Superbe bébé dénommé Tonio, je garderai à jamais son sourire dans ma mémoire.
Nous arrivons à la résidence, dînons, discutons. Je suis fatigué, je vais me coucher.
WEEK-END BLOQUE-ENTRAINEMENT A KHOR -AMBADO
C'est le week-end. Nous avons dormi jusqu'à 8 heures, une bonne nuit de récupération. Petit déjeuner, douche. Florent et moi enfilons nos tenues flambant neuf et nous équipons avec le matériel de notre principal sponsor, Peugeot Cycles. Aujourd'hui, entraînement spécifique de 45 kilomètres. Nous avons prévu de rejoindre Kor Ambâdo Plage après avoir reconnu la route jusqu'à la piste que nous aurons à prendre pour nous rendre à Ali Sabieh, première étape du raid en VTT.
Nous prenons le départ vers 10h00, afin de connaître notre réaction à la chaleur qui augmente avec le jour. Nous longeons la voie ferrée. Florent s'occupe de la topographie. Toujours la saleté, les décharges et le délabrement des bâtiments que nous croisons. Nous arrivons près de l'Académie de Police de Djibouti et bifurquons vers Balbala, le bidon-ville. Nous traversons le piste Djibouti-Ali Sabieh. Quelques centaines de mètres plus loin la piste est coupée par un oued, cours d'eau aride, elle devient impraticable. Nous sommes obligés de traverser l'oued de cailloux et de sable, c'est dur. Florent chute, se rape les cuisses. Plus loin, c'est moi qui chute, plus gravement. L'une des pédales automatiques me déchire le pied et pénètre à l'intérieur de la chair, au-dessus de la malléole. J'ai un peu mal, le sang coule. j'envisage déjà le pire, ici c'est la porte ouverte aux infections. Je suis fou et le moral en prend un coup. Nous ressortons de ce maudit oued et regagnons la piste que nous ne quitterons plus jusqu'à Balbala.
Nous repérons la piste qui part vers Ali Sabieh. Elle paraît belle pendant les 100 premiers mètres, mais qui sait ce qu'elle nous réserve plus loin, puisqu'ici depuis 20 ans tout semble se dégrader vitesse grand V. Nous traversons Balbala par la route de Djibouti-Arta. Des bidonsvilles à perte de vue. Des enfants qui jouent dans la poussière nous jettent des pierres, d'autres crient sur notre passage : "donne l'argent". C'est fou, cette misère omniprésente. Je suis écoeuré. Nous parvenons à rejoindre la route qui va vers Doralé et Kor Ambâdo. Des vendeurs de coquillages sont installés au bord dans des cahutes, des enfants de trois ou quatre ans mendient tout le long de la route. D'autres enterrent les morts, nous remarquons des tas de tombes. Cela devient de plus en plus pénible de se faire agresser par tous ces enfants. Nous roulons depuis 45 minutes, la chaleur est insupportable, plus de 40°C au soleil, nous n'avons pas mangé beaucoup ce matin, je crains l'hypoglycémie. C'est dur, très dur.
Nous arrivons sur la piste de Kor Ambâdo, vraiment du tout terrain. Les VTT sont maintenant mis à rude épreuve et cela nous sert car tous les petits problèmes surgissent. Je risque à deux reprises de chuter. Les sacoches bloquent ma roue arrière. Florent remédie au problème avec du chatterton. Nous sommes impressionnés par la fiabilité de notre matériel. Néanmoins nous enlevons les chaussures des pédales automatiques dans les montées rocailleuses, car nous ne pouvons déchausser à temps et risquons à nouveau une chute.
Raoul nous a rejoint avec le 4X4 conduit par Cécile. Il se fait déposer devant pour nous filmer en pleine difficulté. La piste de Kor Ambâdo se termine par une descente où nous doublons le 4X4. Nous avons plus de facilité en VTT qu'eux à passer les obstacles. En bas se trouve un oued ensablé. Impossible d'avancer, nous mettons pied à terre pour éviter la casse. Des motos tout terrain et le 4X4 nous doublent. J'ai la rage, nos pneus sont trop étroits. Nous arrivons enfin sur du terrain un peu plus dur et rejoignons une maison restaurant qui résonne de musique. Nous y déposons nos VTT. Ils seront gardés et à l'ombre.
Nous ruisselons de sueur. Une seule chose compte à présent: enfiler nos maillots de bain et plonger dans la mer Rouge. Nous nous dépêchons de tirer nos vêtements collants de sueur et de poussière. Le soleil a déjà fait des dégâts, nos bras, nos nuques et nos jambes nous cuisent malgré l'écran total. Nous courons dans cette eau bleue limpide comme pour apaiser nos souffrances de brûlés à vif. Quelle délivrance! L'eau nettoie nos plaies et nous rafraîchit. Le sable est fin, le vent léger fait descendre la température de mon corps mouillé. Je jette un coup d'oeil sur la plage. Des dizaines de 4X4 sont entourés de bâches vertes anti soleil. Nous rejoignons la plage et buvons d'une traite le schweppes glacé que Cécile nous tend. Nous nous enduisons à nouveau de crème et nous mettons sous une petite tente ouverte au vent mais à l'abri du soleil grâce à sa bâche verte. Après le pique-nique, nous nous équipons de palmes, masque,tuba et retournons dans l'eau admirer la barrière de corail.Les souvenirs d'il y a 20 ans reviennent lorsqu'à Arta Plage je plongeais en apnée.
Les fonds sont très abîmés à Kor Ambâdo. Nous apercevons malgré tout quelques chirurgiens, un poisson-lune et des milliers de minuscules poissons-corail multicolores. De beaux coraux vivent à la limite de cette barrière. Ils forment une dentelle qui du rouge à la surface se nuance de mauve et de bleu en profondeur, fonds marins extraordinaires encore intactes et inviolés par l'homme. Monde aquatique, merveille du monde. C'est la première fois de sa vie que Florent voit un tel spectacle. L'eau est plus fraîche qu'au bord, mais les rayons de soleil dardent nos dos incendiés. Je ne veux pas palmer trop longtemps et laisser les forces qui me restent dans l'eau. Au repos sur la plage, nous enduisons à nouveau notre corps de produit gras. Je soigne ma plaie à l'aide de la trousse de secours.
A 16h20, il est l'heure de nous changer et de remonter sur nos selles. La piste du retour ne nous pose aucun problème. Nous avons fait le plein d'énergie. Nous ne mettons qu' 1 h40 et arrivons en même temps que le 4X4 à la résidence.
Samedi 3 avril
La matinée s'est passée dans l'attente de nouvelles du coopérant militaire de l'Armée Nationale Djiboutienne. Les dernières informations sont démoralisantes. Un poste de police vient de se faire attaquer à Tadjoura, il y aurait des blessés et une prise d'otages par des éléments rebelles du FNUD (Front National Unifié Djiboutien). Les militaires des Forces Françaises de Djibouti seraient en cours d'évacuation de tous les Français de la zone nord et de la côte de Tadjoura. Il serait interdit de passer à Arta et Holhol, ce qui signifie que nous sommes bloqués à Djibouti au moins jusqu'au 10 avril, lendemain des élections. Tout s'écroule. Le moral est au plus bas dans l'équipe. Nous sommes abasourdis, je n'y comprends plus rien. Nous sommes peut-être sur une poudrière, mais rien n'était prévisible. Je m'en veux d'avoir entraîné Florent et Raoul dans cette mauvaise aventure. Je reste néanmoins optimiste. j'ai hâte de rencontrer le responsable de l'ONTA, qui pourra peut-être m'en dire plus.
14h00: Nous déjeunons de bonite, poisson local avec des légumes de couscous, c'est succulent.
16h00: Nous enfourchons nos VTT et nous dirigeons vers l'ONTA. C'est fermé. Nous allons alors jusqu'à l'Escale marine en passant par le Palais de la Présidence. Quelques prises de vue sur le chemin et près des boutres qui amènent les touristes jusqu'aux îles Maskali et Moucha.
16h45: Nous prenons quelques photos devant la Maison du Peuple et rejoignons l'ONT A. Une horde d'enfants des rues nous assaille à notre arrivée. Nous décidons qu'un de nous trois restera garder les vélos.
17h00: Le rendez-vous est reporté à demain 9hOO. Nous repartons déçus vers la résidence Marco Polo.
18h00: Nous accompagnons Cécile et Marilyne, la femme d'un collègue de l'Ambassade, au supermarché Sémiramis. Souffrant de nous faire entretenir, je paie toutes les courses. Nous sommes toujours entourés de dizaines de crève-la-faim.
De retour à la résidence, nous essayons d'avoir des nouvelles par la Radio Télévision Djiboutienne. Les informations passent en langue arabe, essentiellement des spots concernant la campagne électorale. Rien sur Tadjoura. Nous sommes invités chez Marilyne à boire un verre. Puis nous nous rendons en compagnie de J-p et Cécile chez Patricia, qui travaille aussi à l'Ambassade. Tout le monde se connaît dans le milieu des Affaires Etrangères. Repas de pâtes, boeuf éthiopien mijoté aux poivrons, carottes et haricots verts, salade d'endives fraîches, fromage et gâteau maison servi avec de la glace pruneaux et noix de coco. Nous parlons du raid, du pays qui part à la catastrophe. L'inquiétude se fait sentir.
Dimanche 4 avril
Quelle expérience et quelle richesse de vivre de tels moments. Deux ans de préparation et conclusion: rien n'est défini à l'avance. Le grain de sable qui fait changer le déroulement de la vie s'insinue. Jusqu'à présent, la chance nous souriait, mais maintenant nous sommes dans une situation que l'on ne maîtrise pas. Les élections ont lieu le 9 avril et jusqu'à cette date rien n'est prévisible, le pire peut arriver. L'instabilité est omniprésente. Je pense à tous les sacrifices, l'entraînement et la préparation que ce projet a nécessité et je me dis que cette expérience prouve que même en étant méthodique et pointilleux, soucieux du moindre détail, l'imprévu peut changer le cours de la vie. Le soleil ne sera jamais en panne, alors que nous sommes bloqués ici. Je me lève ce matin tout de même confiant. J'ai bien dormi malgré mon pied qui me tiraille. Une petite infection, il fallait s'en douter.
Après avoir déjeuné en compagnie de J-P qui sans cesse me remonte le moral, je m'habille et enfourche mon VTT en direction de l'ONTA, place Ménélik. Au bout d'une heure d'attente, je suis reçu par Monsieur Mohamed, l'adjoint du directeur de l'ONTA, à qui je serre la main à la descente de sa 405. On dirait un ministre, vêtu d'un impécable costume beige. Tout le monde flippe. Monsieur Mohamed me donne l'assurance qu'il mettra le 10 avril à notre disposition le 4X4 de l'ONTA avec un chauffeur et un guide pour effectuer toute la partie sud de notre périple. Il me met en garde sur le danger de partir, qu'il est sage d'attendre après les élections. Il est sympathique et je le crois sincère. je l'espère. Il m'affirme qu'un courrier m'a été envoyé m'informant de la situation d'instabilité préélectorale. Je ne l'ai jamais reçu. Je pars à moitié satisfait et résigné devant la situation actuelle.
Je prends la direction de l'Académie de Police située à Nagar, à 10 kms de Djibouti, pour essayer de revoir Yacine, un policier Djiboutien qui a fait avec moi le stage de moniteur de sports dans la Police Nationale Française. La température commence à monter. A l'entrée de l'Académie, un garde assis me somme de m'arrêter, la kalachnikov en bandoulière. je me présente et donne l'objet de ma visite. Il me demande de faire le tour pour rejoindre l'autre côté, où j'aperçois un petit minaret. j'y arrive et demande si mon collègue Djiboutien est présent. Je me rends compte que ce bâtiment est un lieu de prière. Un policier me pose quelques questions et commence à me parler religion, Islam. J'essaie d'esquiver cette conversation mais c'est difficile, cet homme fait du prosélytisme. Je reste diplomate et reprends ma route vers Djibouti.
j'ai remarqué que l'Institut Supérieur d'Etudes et de Recherches Scientifiques et Techniques (ISERST) n'est pas loin. Je décide de m'y arrêter et demande un rendez-vous avec le directeur, Monsieur Anis Abdallah. Il est en réunion. On me donne le numéro de téléphone pour obtenir un rendez-vous. j'ai faim, j'ai soif. J'espère ne pas faire d'hypoglycémie, il me reste 10 kms avant de rentrer. Il est 12h 15, ta limite du raisonnable pour arrêter de rouler.
Je cours prendre une douche, boire et soigner ma plaie qui suinte. Je réussis à téléphoner chez moi en France, décris la situation et donne l'état dans lequel nous nous trouvons. Aujourd'hui ma dernière fille a 13 ans, c'est son anniversaire et je suis là, bloqué, impuissant. Enfin j'ai pu rassurer tout le monde sur notre position. Après avoir lavé et essuyé la vaisselle, je vais faire une sieste réparatrice. Mes deux compagnons d'infortune, qui étaient restés jouer au monopoly, font de même.
J-P a prêté son VTT à Raoul. Nous sommes enfin tous les trois ensemble pour faire des prises de vues. De retour, J-P et Cécile regardent notre reportage à la télé, les images numériques sont d'excellente qualité. Nous jouons à un jeu de cartes qu'ils viennent de nous apprendre, "le trou duc", c'est génial. Nous y jouons jusqu'à l'heure du dîner. Ici nous mangeons vers 21 heures. Après le repas je propose de faire la vaisselle, puis je vais écrire quelques cartes postales. Cela me permet d'évacuer mon stress dû à l'attente du départ réel du raid. Je suis très ennuyé, mais que faire, j'ai autant hâte que mes deux coéquipiers de me retrouver sur le terrain.
Jusqu'à présent, je contiens ma colère. Je m'endors avec du vague à l'âme, ne cesse de penser à mon ange gardien. Rien ne se débloquera avant le 10, faut pas rêver. Il est presque 01h00.
SEMAINE PRESIDENTIELLE A DJIBOUTI
Lundi 5 avril
05h40: J'ai peu dormi, mais profondément. C'est le cas depuis que je suis arrivé. La situation me pèse, mais il est hors de question que j'abandonne. Si tout s'était déroulé comme prévu, nous aurions déjà attaqué la deuxième étape. Tiens bon, mon gars, te laisse pas aller! J'ai le sentiment que les autres ne sont pas satisfaits. L'ambiance de l'équipe est tendue. Ils ne se rendent pas compte du travail de préparation effectué et des sacrifices imposés. Je dois garder mon calme.
06h00: Petit déjeuner, puis nous prenons la route pour rejoindre la piste d'Ali Sabieh afin de commencer notre film. Nous roulons 20 kms. Raoul, qui a enfourché le VTT de J-P, ne se rend pas compte qu'ici, à cause de la chaleur, plus rien n'est pareil. Le moindre effort physique se paie, l'organisme est mis à rude épreuve. Il le constatera sur le retour et l'apprendra à ses dépens. Dès que je dis quelque chose de sensé par rapport à mon expérience de ce pays, j'ai l'impression que cela dérange. De toute façon, quelque remarque que je fasse, les susceptibilités de chacun ressortent. J'ai les boules, je n'ose plus rien dire ni rien proposer de peur d'exploser. Si nous sommes venus là, c'est dans un but précis. Nous savions que rien ne serait facile, qu'il faudrait s'adapter aux imprévus. Ce n'est pas du tourisme, mais un raid avec tout ce que cela comporte comme difficultés.
Nous rentrons doucement à Djibouti. Raoul ne comprend pas qu'il n'a pas le même entraînement que nous. L'autre soir, il s'est braqué lorsque j'ai dit que faire l'aller retour Djibouti-Arta, soit 82 kms, serait trop dur pour lui et que je ne voulais pas risquer un accident. Je comprends qu'il veuille participer, mais il n'est pas question de mettre en péril l'opération pour un problème de susceptibilité. Ce n'est pas raisonnable. D'ailleurs ce matin, il a pris conscience de l'épreuve. Nous arrivons à la résidence. Il avoue que ce sera très dur pour nous, mais parfois, je me demande s'il s'aperçoit de ses réactions. L'orgueil est bête s'il met en danger sa propre vie ou celle des autres.
Je pars seul, afin d'évacuer la tension, poster mes cartes et celles de Florent. Près du Ministère de la Justice, j'aperçois deux cynocéphales, babouins au museau allongé comme celui d'un chien, qui se sont introduits dans Djibouti. Tous les enfants que je croise me demandent de l'argent. Les femmes vendent cacahuètes, chewing- gum, bombons, les hommes s'affairent près de l'Etat Major de l'Armée, les bus sont bondés, ils n'ont plus de vitres. Je prends la direction du centre de Djibouti et je pense encore à mon ange gardien. j'essaie de lui montrer des signes d'impatience.Je veux acheter du pain, mais le Sémiramis est fermé à cause d'une panne d'électricité.Je m'adresse au gardien qui m'envoie de l'autre côté de la rue, vers l'escalier en bois où il y a une boulangerie ouverte. A la sortie, je me fais assaillir par des enfants. Je distribue quelques pièces à des minots de 3 à 6 ans. Toute cette misère m'emplit d'une rage d'impuissance. Sur la route, je remarque la discothèque aujourd'hui baptisée Restaurant Scotch, rue Clochette, face à l'Ambassade d'Ethiopie.
Des souvenirs vieux de 20 ans resurgissent à la surface de ma mémoire. C'est bien là que je me suis fait tabasser pour être volé, je me suis retrouvé à l'hôpital militaire avec triple fracture du maxillaire. Il est midi, le soleil cogne. Une naya avec deux enfants en bas âge est assise par terre. Ils sont couverts de mouches. Je lui donne une pièce de 50 FD, l'équivalent de l ,60 francs. Pendant 5 minutes elle me dira au revoir. Quel malheur de laisser ce peuple crever. Je repars entre tristesse, dégoût et haine de notre richesse, de tous ces gens qui se plaignent dans l'opulence de notre société occidentale.Nous déjeunons avec Cécile, J-P est au travail. Nous décidons de faire une sieste. A 16h35, Cécile frappe à la porte pour nous réveiller. Je ne dors pas, je suis énervéintérieurement. J'essaie de ne rien laisser transparaître. Nous prenons la direction du PPI,magasin militaire où l'on trouve de tout à bas prix. Ce qui nous intéresse rincipalement, c'est d'acheter des rations et de l'eau pour assurer l'autonomie du raid. C'est fermé. Nous nous arrêtons à une pâtisserie. Je fais des photos discrètement. Un jeune nous parle, il dit être au chômage avec bac + 2, nous présente la situation de son pays et 22 ans de dictature. Certains n'ont pas de salaire depuis plus d'un an. Nous discutons des possibilités non exploitées de Djibouti pour prendre son essor économique et de la mentalité djiboutienne bien particulière, entre nonchalance et esprit guerrier. Les élections sont importantes pour beaucoup qui espèrent. Hassan Gouled Aptidon règne sans partage au pouvoir depuis l'indépendance en 1977 et va enfin passer la main, à 83 ans. Je comprends que la situation soit explosive. Chez Frattucci, vers le port, nous achetons les cartons d'eau dont nous avons besoin. La vendeuse n'est pas aimable, monopole oblige.
A l'approche de la nuit, nous montons sur le toit du Palmier en zinc par le seul ascenseur de Djibouti. C'est un superbe coucher de soleil auquel nous assistons. Il est 18h30, l'heure de la prière. Dans l'air limpide encore baigné de la fournaise du jour, le soleil tombe et disparaît en quelques secondes dans la mer, sans qu'aucun rougeoiement n'enflamme la pureté du ciel. Les ombres s'allongent. Nous filmons depuis ce point de vue le port, les mosquées, la place Ménélik, la Présidence.
De retour à la résidence Marco Polo, nous faisons connaissance avec Damien, l'époux de Maryline. Ils restent dîner. Nous discutons jusqu'à 22h00 de la situation politico-économique de Djibouti, les détoumements de fonds de l'aide intemationale et la corruption administrative.
Damien nous relate ses accidents de pêche, les requins qui sillonnent la mer Rouge.
Mardi 6 avril
Levés à 06h00, nous prenons la direction de Kor Ambâdo en VTT. Raoul est fatigué mais courageux, il décide de nous suivre pour nous filmer. Il s'est bien fait la main hier, les images seront meilleures. Je ressens une certaine morosité ce matin due à l'attente de notre départ en raid et aussi à la question de savoir si nous pourrons avoir l'avion de retour en France le 18 ou le 21 au lieu du 23.
Après quelques prises de vues et quelques chutes, nous arrivons à Kor Ambâdo à 09h30. Il fait très chaud, étouffant. La baignade est plus que bénéfique, elle nous rafraîchit et nous fait retrouver le sourire. Nous nous autorisons une demi heure de détente après avoir bu un coca bien frais. Nous profitons pour la deuxième fois de la mer Rouge. L'eau est turquoise transparente, chaude et salée. Le basalte s'y jette en bloc. Raoul et Florent aperçoivent deux jeunes barracudas qui chassent au bord les petits poissons.
Nous renfilons nos cuissards et remontons sur nos bolides. Nous marquons le pas au pied de la terrible montée de Kor Ambâdo, puis nous nous y lançons en suivant la trace d'une petite caravane de dromadaires. Raoul filme, nous l'attendons en haut de cette maudite côte, il a mis pied à terre. C'est vrai que c'est dur pour lui qui n'est pas entraîné spécifiquement, mais surtout sa machine est loin de valoir la nôtre. Il a les fesses en marmelade, qui le feront souffrir jusqu'à l'arrivée, nous obligeant à le tracter. Nous lui disons que ce n'est pas grave, que ce n'est pas honteux de souffrir ainsi, que n'importe quelle personne qui serait à sa place aurait déjà abandonné. Sur la route qui mène d'Arta au port de Djibouti, nous faisons des pointes à 25 kms/h. Nous avons placé Raoul au milieu, Florent et moi le tirons. Il admire notre excellente condition physique.
Nous arrivons à la résidence explosés mais heureux. Nous prenons soin de laver les VTT pour enlever la fine poussière qui entre dans les pédales automatiques et tout le mécanisme. Après une douche réparatrice, je passe aux soins pour ma blessure. Depuis que j'ai enlevé la croûte, désinfecté de nouveau et mis une compresse de mescaréine, elle a meilleure allure et semble en voie de guérison. Tant mieux, c'est un souci de moins avant que ne commencent les choses sérieuses.
J-P est arrivé, il nous propose de boire quelque chose de frais. Nous nous asseyons au salon, sirotant notre tonic krest et visionnant les films tournés de la veille et du jour. J-P est très étonné et content de la qualité de nos prises de vues. C'est un super chic type, sérieux au travail et le coeur sur la main. Il a plein de points communs avec Raoul, ils s'entendent à merveille. J-P nous rassure sur la gêne que suscite notre présence et nous explique pourquoi il fait le geste de nous aider. Son père était myopathe. Il en a beaucoup souffert ainsi que sa famille. De plus il était parrain d'Amandine, la fille d'un collègue qui est décédée à l'âge de 5 ans d'une maladie provoquant une dégénérescence des neurones. Il nous parle de tout cela avec tristesse et nous présente un poème de sa composition qui lui est dédié.
"Amandine,
Je lui ai fait une promesse, sur le bord de son lit, juste avant son voyage, juste avant la nuit,sa main dans la mienne, elle pleurait ses yeux noirs, remplis de larmes me suppliaient de rester encore un peu, avec les femmes blanches avant le noir de sa chambre, sans branche.
Oui! Je lui ai promis de combattre, de lutter, mais ce soir, elfe nous a laissés, fatigués !! Amandine avait cinq ans, le regard franc
malgré sa peur, sa douleur, malgré le vent.Elle est partie, là-bas, seule, sans vie, sans savoir pourquoi, ses parents disent, pour Lui. "
Nous comprenons mieux maintenant pourquoi ils nous ont ouvert leur porte. Je les en remercie de tout mon coeur et me sens redevable de leur geste. Non pas côté matériel, mais par conscience. Nous nous devons d'aller au bout, souiigne J-P, nous n'avons pas à nous arrêter en si bon chemin.
A 16h30 nous nous réveillons d'une bonne sieste plein de forces. Nous allons à la BNP locale qui se trouve à 500 mètres, faire du change. Nous en ressortons à 17h30. C'est comme ça, en Afrique, il ne faut pas être pressé. j'ai pris mon appareil photo, je mitraille à tout va. j'espère que sur le nombre, il y aura de belles photos exploitables. A l'entrée du centre ville, nous sommes encore une fois assaillis par les vendeurs ambulants, les mendiants de tout âge, handicapés, enfants, vieillards. J'essaie de prendre un maximum de clichés, mais ils sont très agressifs s'ils se voient filmés ou pris en photo. A tout moment on risque l'incident. Je m'efforce de le faire discrètement.
Arrivés à l'agence d'Air France, place Ménélik, nous avons cette fois-ci un accueil chaleureux. Le directeur Monsieur Molaro nous reçoit dans son bureau. Il nous félicite de notre action et paraît intéressé par le projet. Il nous accorde le fret gratuit et nous permet de prendre le vol retour qui nous arrange. En contre-partie, nous lui proposons de faire des photos avec drapeau, tee-shirt, autocollants et casquette Air France sur les lieux bien connus de notre raid, par exemple le désert du Grand Bara, le lac Assal. Il nous laisse sa carte et nous dit de ne pas hésiter à le contacter en cas de problème.
Sur la place, nous sommes vite encerclés par la foule dépenaillée. Nous prenons la direction des Caisses, le quartier du marché près de la mosquée, place Mahamoud Harbi. Je demande au policier Djiboutien que je vois si je peux prendre des photos. La misère bigarrée remplie la rue. Nous faisons un tour au Centre culturel français Arthur Rimbaud, flambant neuf. Des gamins jouent au foot dans la poussière de la rue. Certains n'ont qu'une chaussure, celle du pied qui frappe le ballon.
Nous voulons offrir à Cécile un dessous de plat naturel tissé par les nayas. Près du Sémiramis un gamin de la rue, Momo, propose ses services. Cet enfant d'environ 12 ans parle très bien français car il a été à l'école. Des yeux noirs pétillants de vivacité, de grandes dents blanches du bonheur éclairant son visage chocolat, un petit bonhomme fluet mais alerte, vêtu d'une chemise et d'un short d'un blanc douteux, les pieds nus dans la poussière. Intelligent, débrouillard, il a des dons de business man. Il fait la loi dans sa rue et joue un peu au caïd. C'est lui qui dorénavant négocie nos achats dans la rue, moyennant une pièce. Il est très gentil et nous nous en faisons un copain. Il trouve ce que nous cherchons. Florent lui glisse une pièce après l'avoir photographié en notre compagnie. Sur le chemin vers la résidence, pas d'éclairage public. Nous profitons des phares des véhicules qui circulent en nombre pour ne pas mettre les pieds dans un trou. Les trottoirs sont défoncés, des tas d'ordures jonchent le sol.
Il est 20h30. Journée positive pour tout le monde. Départ pour la France prévu pour le 21 avril au pire et le 18 au mieux. Nous en saurons plus le 10 avril, date fatidique pour la suite des événements. j'ai les papilles qui s'énervent et les narines agrandies par l'odeur du dîner qui envahie l'appartement. Je pense à mon ange gardien que je sollicite sans cesse, et à ma famille dont je n'ai aucune nouvelle.
Mercredi 7 avril
07h45: Cela fait plus d'un quart d'heure que nous attendons devant la résidence Marco Polo. Ce matin nous avons rendez-vous avec Madame Acina, docteur pédiatre à Djibouti, contact que m'a donné un Djiboutien de Rennes rencontré lors du prologue alors qu'il visitait l'exposition. Je lui ai téléphoné hier, l'accueil a été chaleureux et spontané. Nous devons nous faire à l'heure africaine, aux nombreux retards. Elle passe nous prendre avec son 4X4 et nous conduft à son cabinet médical sftué devant le Sémiramis. Puis nous allons au restaurant les Sables Blancs prendre un petit déjeuner djiboutien tout en discutant: omelette somalienne, chai (thé), jus pressé pour moi; salade djiboutienne au foie de veau pour le docteur Acina; petit déjeuner complet à l'européenne pour Florent, qui ne veut pas prendre de risque alimentaire. j'expose les buts de notre venue à Djibouti, ce qu'il reste à faire. Nous parlons des contacts qu'elle peut nous obtenir et des problèmes locaux: enfance, eau, santé, condition féminine, hygiène, politique. 42 % de la population est au chômage, 51 % infectée par le SIDA, la moitié de la population a moins de 20 ans. Le tableau brossé par le docteur Acina est très alarmant. Voilà déjà 16 ans qu'elle habite Djibouti. Elle a fait ses études à Rennes, a un frère à Rennes que je connais et un autre à la Vicomté sur Rance où réside mon frère, comme par hasard. A l'autre bout du monde, des rencontres de ce type vous donnent chaud au coeur. Rendez- vous est pris à midi par téléphone, elle pourra nous en dire plus sur les contacts possibles, entre autres un ophtalmologiste afin de savoir si des enfants sont atteints ici d'albinisme.
Nous nous rendons rue d'Ethiopie à Planet Gym. Cet immeuble domine la place Mahamoud Harbi et le marché aux Caisses, du nom des caisses qui servent d'étals aux marchands. Nous avons un point de vue sensationnel pour filmer toutes ces couleurs, le brouhaha de la rue, la foule bigarrée, la station des minibus. Ce club n'est ni plus ni moins que l'endroit où je suis venu en bordée, un soir, lors de mon passage à Djibouti avec les Commandos Marine. Nous appelions ce lieu "l'Escalier en bois", en raison de l'escalier qui permet d'y accéder. Les souvenirs sont présents, le temps a passé. Redescendus dans la rue, ce n'est plus le fleuron de la mer Rouge que j'ai connu voilà 20 ans. La ville est devenue une poubelle à ciel ouvert, une cour des miracles. Qui est responsable de cette situation? Le laisser aller des Djiboutiens, la fin du colonialisme?
Nous nous arrêtons au poste de Police central. Les locaux sont sales, vieillots, les vitres brisées, les plafonds tombent. Paradoxe, la radio crépite à tout va, période électorale oblige. Les trottoirs fourmillent de vendeurs à la sauvette entre le cinéma Odéon et la gare. Nous avons failli déclencher une bagarre, car c'est à celui qui pourra nous vendre un objet. Nous faisons une halte devant l'Etat Major des Forces Armées Djiboutiennes. Interpellés par un militaire en tenue kaki qui nous sourit à pleines dents, nous discutons de leur armement et de la situation dans le nord. II nous confirme que celle-ci n'est pas bonne pour le moment et qu'un véhicule a sauté sur une mine anti-char du côté de Randa. Ce n'est pas rassurant pour nous.
Nous le quittons pour nous rendre à la Mission évangélique où nous sommes accueillis par des jeunes parlant très bien français. Ils reçoivent une éducation dispensée par les ecclésiastiques. Nous visitons la cathédrale, puis l'atelier d'artisanat des jeunes de Djibouti qui réalisent des broderies et des photophores au profit de la jeunesse démunie. Le travail est minutieusement fait à la main par de jeunes enfants recueillis par les prêtres, la mission servant également d'orphelinat.
Ce soir J-P nous quitte à 20H30 pour escorter à l'aéroport la valise diplomatique. Cécile nous met dans la confidence pour organiser son accueil à son retour. C'est aujourd'hui son anniversaire. Elle a invité tous ses amis de l'Ambassade, du Consulat et de la Mission de coopération, c'est à dire des Français expatriés travaillant à Djibouti. L'ambiance est sympathique, mais nous nous sentons mal à l'aise, malgré la nuée de questions que tous nous posent sur le raid, qui suscite étonnements, critiques et encouragements. Nous nous couchons à minuit passé, je suis fatigué par une gastro.
Jeudi 8 avril
Déjà réveillé à 07h00. Mon mal de tête s'est estompé ainsi que ma gastro. J'ai rendez-vous à 09h00 avec l'ophtalmologiste, le docteur Dell' Aquila. Enfourchant nos vélos, nous faisons un crochet par le centre islamique de Djibouti. Le cabinet médical est climatisé, quel bonheur! "Nous revoilà à la civilisation", s'exclame Florent. Nous lui exposons notre projet, Génespoir, la maladie de l'albinisme et le sensibilisons sur l'information qu'il peut diffuser. Depuis qu'il est à Djibouti, il n'a le souvenir que d'un cas venu d'Ethiopie. Je souligne l'importance à disposer de toutes les possibilités de prélèvements sanguins par des donneurs de tout horizon. Nous lui remettons une plaquette Génespoir avant de repartir. Face au cinéma Odéon deux cynocéphales provoquent la panique sur le trottoir.
Nous prenons la direction d'Ambouli pour nous rendre au rendez-vous pris avec l'ISERST. Devant l'entrée, un homme dans un véhicule nous aborde et se présente: Ali Li aqat , responsable du Char à voile et du Tourisme d'aventure. II est au courant de notre projet et nous fait part de son étonnement que nous n'ayons pas pris contact avec lui. Je lui réponds que le contact a été pris auprès de l'ONTA et que je n'avais pas l'honneur de le connaître auparavant. j'ai du mal à cerner le personnage. Tantôt il nous complimente et tantôt nous démoralise en nous faisant des remarques sur notre trajet, les risques et le besoin d'assistance. Il se met en avant en nous expliquant qu'il connaît bien le terrain, fait des raids en 4X4 et se dit également aventurier. Peut-être est-il disposé à nous aider, mais je sens un réel intérêt commercial. Je dirai même qu'un sentiment de jalousie ressort par rapport à notre projet. L'inédit de notre raid le trouble, il aurait certainement voulu être de la partie. Il nous accompagne jusqu'à l'ISERST, pose des questions sur notre organisation, nous fait savoir qu'en tant que responsable du Centre de char à voile au Grand Bara il est disposé à nous en faire profiter gratuitement. j'ai vraiment le sentiment que cet homme n'est pas clair, d'ailleurs mes coéquipiers me font part de la même impression. Il s'incruste dans notre entretien avec Monsieur Anis Abdallah, mais il est apparemment déjà connu.
Le directeur de l'ISERST est une figure incontournable de Djibouti. Homme érudit, scientifique reconnu, éminent spécialiste auteur de plusieurs thèses sur les sujets qui nous intéressent: tectonique des plaques, géophysique, géologie, géothermie, ressources énergétiques, recyclage des déchets, déforestation, hydrographie. Il nous présente l'ISERST, son organigramme, nous parle d'Yves Coppens, conseiller scientifique, et des différents secteurs que traite cet institut. Il nous fait un cours magistral sur la tectonique des plaques à l'aide de transparents. Cet entretien est très enrichissant et nous permet d'aborder quelques sujets utiles à notre reportage.
Nous rentrons déjeuner à 13h30 en passant par le plateau du Serpent. Au réveil de la sieste, mon pied est douloureux. L'infection perdure malgré des soins quotidiens. Ici toute plaie s'infecte, en raison de l'humidité étouffante du climat. Je décide d'aller faire un tour boulevard de la République prendre la température de la rue avant le grand jour, à la veille de l'élection présidentielle. Il y a peu de gens dans la rue, les bus ne circulent pus, les militaires et les policiers ont regagné leurs casernes, les administrations ferment de bonne heure car demain les bureaux de vote ouvrent à 06h00 pour quelque 1 70 000 électeurs, et à 21 hOO tout sera joué. Je rentre sur la base et discute avec le chouf Yéménite de la situation. Pour lui tout est joué d'avance, le pouvoir restera à l'ethnie Afar en place depuis 22 ans. Le neveu du Président, Ismaël Omar Guelleh, brigue la succession appuyé par son oncle. L'opposition djiboutienne s'est ralliée à l'ancien chef indépendantiste, Moussa Ahmed Adriss, également de l'ethnie Afar.
Vendredi 9 avril 1999
Jour important de l'élection présidentielle à Djibouti. Au petit déjeuner, nous discutons de la guerre du Kosovo, des forces de l'OTAN et de la logique de guerre. Il n'yen a aucune à s'envoyer des pruneaux sur la tête à la veille du 21 ème siècle. Notre discussion porte ensuite sur le procès Papon et la dernière guerre mondiale. Comment juger hors contexte, plus de cinquante ans après? Comment apprécier le poids insupportable de l'occupant, la pression des ordres et la menace qui pèse directement sur soi et les siens? Evidemment, les actions de l'ombre ne laissent pas de traces. Quelle prétention à donner des leçons sans avoir été confronté à la réalité ambigue de l'époque. Si Maurice Papon n'avait pas fait de carrière politique, personne n'aurait parlé de lui après que de Gaulle l'ait nommé Prefet à la Libération.
Je me souviens avoir questionné Amélie sur l'amitié qu'Henry manifestait envers Mussolini.
- "Mon père s'était lié d'amitié avec Mussolini bien avant que la guerre n'éclate et que l'Italie fasciste ne devienne l'alliée de l'Allemagne nazie. Les Français possédaient la Côte Française des Somalis, les Anglais le Yémen et l'Inde. Pourquoi l'Italie, alors qu'elle avait déjà effectué auparavant un travail incroyable en Erythrée, n'aurait-elle pas eu le droit d'annexer l'Ethiopie où régnait encore une féodalité excessive? Mon père était à l'époque reporter au "Petit Parisien". Mussolini lui avait demandé des conseils sur l'Ethiopie qu'il connaissait parfaitement, et c'est ainsi qu'il devinrent amis."
Florent est malade toute la journée avec une baisse de tension. Je pense qu'il a attrapé froid entre fournaise et climatisation. Changement de climat, d'alimentation, de cycle horaire, entraînement sous le soleiL.. l'acclimatation est courte et très dure. Les températures sont élevées, nous consommons un maximum de sels minéraux et de vitamines. Il faut absolument compenser par une alimentation riche de ces éléments.
A 16h00, nous allons avec J-p et Cécile au port voir une barque à vendre et l'essayer. Sur le chemin qui mène au petit centre nautique de la caserne Sabatier, nous n'apercevons pas âme qui vive. Tous les européens sont chez eux, sauf ceux de cette caserne qui se dorent au soleil et profitent des jeux nautiques. C'est le couvre-feu pour cause d'élection présidentielle, on nous a déconseillé de nous rendre en ville.
Nous embarquons dans la barque mise à l'eau par ses propriétaires, deux militaires qui terminent leur séjour. Il fait chaud, il est agréable de mettre les pieds dans l'eau. Nous nous retrouvons à sept personnes à bord, la plage s'éloigne peu à peu lorsque la puissance du moteur Mercuy 75 cv se développe. Cécile ne paraît pas rassurée, l'eau pénétrant presque dans la barque à chaque virage. Des dauphins nous accompagnent. L'envie me revient de naviguer comme au bon vieux temps, les souvenirs émergent de ma mémoire. j'étais motoriste zodiac sur Yamaha 40 cv lors des missions que j'ai effectuées à Djibouti en 1976, 78 et 80. Les mêmes sensations reviennent à la surface, de cette eau, de cette mer que je sublime. De retour au centre nautique, j'enlève sans hésiter mon short et me jette à l'eau. Elle est un peu sale, le port de commerce se trouvant à quelques encablures, les bateaux vidangent certainement au large et les déchets viennent s'échouer sur cette côte.
A 21 hOO, les résultats des élections présidentielles sont annoncés. Ismaël Omar Guelleh est élu avec 74,09 % des suffrages contre 25,78 % au candidat de l'opposition. C'est la continuité à la tête du pouvoir.
Le soir au coucher, j'écoute mon baladeur, une douce mélodie berce mon écriture. Mes filles m'ont téléphoné me donnant quelques nouvelles. C'est bon pour le moral, elles me manquent mes puces. Je les aime si fort. j'ai tant de choses à leur dire et à leur montrer. Je pense à mon ange gardien, pourra-t-il me protéger sur ma route? Ne m'abandonnera-t-il pas ? Je doute de moi, malgré l'énergie qui est en moi et la rage de vaincre les éléments en ce lieu où la planète nous fait comprendre que nous sommes si petits et si vulnérables.
Dans quelques milliers d'années naîtra ici l'océan Afar, de la séparation de la Corne de l'Afrique du reste du continent. Rien n'est acquis, rien n'est fixe, tout bouge, puissante nature.
Samedi 10 avril
Réveil à 07h00. Je suis anxieux, Florent est malade, Raoul fatigué d'être ici et je me demande si j'ai bien fait de me lancer dans cette aventure. Nous déjeunons et prenons la route en direction d'une cité dénommée Arrhiba, quartier à forte majorité d'émigrés et de réfugiés des pays de la Corne de l'Afrique. Cécile nous a invités à venir voir l'Ecole Bienvenue où elle donne des cours de soutien scolaire. Nous entrons dans ce bidonville situé près du stade de football flambant neuf. Les eaux usées se déversent dans la rue, des nuages de mouches et d'enfants nous encerclent, les gens vivent à même le sol. ce contraste m'interroge sur la répartition des richesses dans ce pays et les choix politiques. Le sport est-il prioritaire par rapport au développement économique? La classe de Cécile est située dans une petite casemate comprenant deux classes pour une douzaine d'élèves. Les yeux des enfants sont grands ouverts sur notre passage, rythmé par leurs cris et leurs commentaires. Nous présentons notre raid VIT à la classe de six élèves et leurs posons quelques questions. Ils sont stupéfaits de se voir sur l'écran du camescope. A notre sortie, nous sommes escortés par une multitude d'enfants excités et rieurs jusqu'à nos vélos gardés par un chouf. Je donne 100 FD au gardien et distribue des barres de céréales à cette flopée de gamins affamés. Cela tourne rapidement à la bagarre. Je leur fait comprendre qu'il ne me reste plus rien. Nous laissons Cécile poursuivre son cours et rentrons à Djibouti.
Nous arrivons à l'ONTA à 09h30. Nous avions rendez-vous à 09h00. Nous nous faÎsons à l'heure africaine! Notre interlocuteur Monsieur Mohamed Abdellahi n'est pas là, il a fait la fête toute la nuit après la victoire d'Ismaël Omar Guelleh. Nous patientons jusqu'à 10h30, Raoul s'énerve contre la lenteur africaine, puis nous décidons de nous rendre à l'agence d'Air France pour avoir des nouvelle du vol prévu le 21 avril. Nous sommes reçus au guichet par Monsieur Abdallah qui nous confirme que nos places sont acquises. Nous retournons à l'ONTA. Une demi-heure d'attente, mais il ne viendra pas. Rendez-vous est pris pour 17h00. Je peste. j'espère qu'il sera là cette fois et que tout va se régler.
Nous déjeunons d'un rosbif éthiopien et de patates. A 15h30, après une bonne sieste, nous prenons en VTT la directÎon du plateau du Héron afin de nous rendre à Cash center, filiale de Leader price. Nous achetons notre complément alimentaire, des bOITes de ravÎolis Buitoni et de spaghettis bolonaises, sucres lents pour le raid qui nous attend. Nous n'avons pas emporté de nourriture lyophilisée comme prévu initialement par crainte de manquer d'eau sur le parcours. Florent a vu le médecin ce matin, qui lui a donné des vitamines. Il va mieux, mais ce n'est pas le top niveau.
Le rendez-vous à l'ONTA est encore reporté à demain matin 10h00. Nous serons le dimanche 11 avril, déjà Il jours et nous n'avons pas encore pris la route de la première étape. J'ai des regrets de ne pas avoir anticipé cet imprévu, il aurait fallu décaler notre arrivée de 8 jours. Il est tout de même étrange que le courrier de l'ONT A ne me soit jamais parvenu. Nous sommes tous trois en ébullition. Dans une des régions les plus volcaniques de la planète, nousmême sommes en train de nous transformer en volcan. Nous rentrons une fois de plus déçus à la résidence. J-p et Cécile le sont également, je les comprends. Ils voudraient faire plus. Je ne sais comment les remercier.
Je vais faire un tour boulevard de la République en pensant à mon ange gardien. M'a-t-il abandonné? Je suis en sueur, la nuit tombe, des odeurs exotiques et d'encens effleurent mes narines, la vente du qat vient de commencer dans la rue, le peuple se prépare à l'euphorique abrutissement. La foule a de nouveau envahit la rue, tous recommencent leur business. Nous nous couchons de bonne heure, car demain tout se décide. Je l'espère de tout mon coeur.
Dimanche 11 avril
Réveil à 07h00, petit déjeuner et douche très agréable. Je me rends à l'ONTA en VTT. Il fait déjà très chaud. Il y a du monde aujourd'hui, les gens sont nonchalants, la vie reprend petit à petit son cours normal. J'arrive à 09h45 à l'Office du Tourisme et patiente jusqu'à 12h00, certaÎn que nous allons enfin prendre le départ. Le directeur adjoint Monsieur Mohamed Abdellahi m'en fait la promesse, il a l'accord verbal de son directeur, le Ministre est prévenu. Il me présente le chauffeur du 4X4 et le guide qui nous accompagneront. Ali le chauffeur a plus de 40 ans de brousse, il connaît bien le terrain. Un peu enrobé, les yeux étonnament bleus dans un visage noir souriant, il est fort sympathique. Hussein le guide, plus jeune, parle Afar, Somali, Arabe et Français. Il connait bien la région sud où il était gérant d'un gîte à As'Eyla. J'ai d'emblée confiance en eux, nous verrons bien. Nous attendons l'accord écrit du directeur de l'ONTA, Monsieur Farah Badar. Rendez-vous est pris pour 16h30 afin de montrer à Ali la résidence pour qu'il vienne chercher Raoul et le matériel logistique demain matin à 06h45.
Je rentre heureux, nous tenons le bon bout. Nous commençons à y croire en préparant nos affaires. Alima, la domestique djiboutienne de Cécile et J-P a lavé et repassé notre linge. Le stress du départ me dope, il est temps. Je termine quelques notes sur le Road book, dont je laisse un double à J-P, à l'ONTA et à Raoul.
A 15h30, nous essayons de voir si la correspondante de RFI (Radio France International), venue pour l'élection présidentielle, est encore présente au Sheraton Hôtel ou à l'Hôtel Plein Ciel, sans succès. Raoul et moi nous rendons à la Banque du Commerce et de l'Industrie de la mer Rouge afin de retirer des devises pour le circuit. Sur le boulevard de la République des chèvres en liberté broutent quelques branchages, des enfants accompagnent leur "bonjour" d'un "bakchich", des hommes nous saluent au passage. Les affiches de la campagne électorale sont encore partout placardées, mais la population est enfin apaisée.
Place Lagarde, nous remarquons quelques cynocéphales dans le parc. Une femme avec des enfants assis sur un banc veut les chasser. Soudain l'un des babouins les attaque et mord une petite fille. Nous nous approchons pour voir si ce n'est pas grave. Heureusement, elle s'est simplement fait pincer. Mais ces singes ont les dents longues, sans compter les maladies qu'ils peuvent transmettre.
Nous avons soif. il fait une chaleur lourde et moite, nos tee-shirts sont trempés. A 200 mètres au supermarché un coca nous désaltère. Sur le chemin, un troupeau de vaches bloque la circulation quelques instants. Passant par le quartier aux Caisses, nous sommes les seuls blancs au milieu d'une marée humaine d'Africains. Légumes, fruits, agrumes, épices sont posés sur des cagettes ou des nattes à même le sol, subtile combinaison des parfums africains, arabes et européens. Tout se vend dans ces ruelles. j'aimerais acheter des chèches pour nous protéger du soleil, mais n'en trouve pas dans ce dédale de souk. On se croirait aux puces de Saint Ouen ou de Clignancourt, avec plus de couleurs et d'odeurs, parmi les vaches et les chèvres, les femmes allaitant leurs bébés sur la terre battue au milieu de groupes éthérogènes, dans un brouhaha de cris, d'appels, un vacarme de klaxons. Dans une boutique nous achetons deux paires de samaras, sandales en caoutchouc, dont certaines sont fabriquées avec des morceaux de pneus. Nous négocions le prix, 2500 FD, mais au moment de payer le vendeur nous en réclame 2700 FD. Je suis mécontent de ce revirement, mais afin d'éviter un problème dans ce quartier populaire proche de la mosquée Mahamoud Harbi, j'allonge 2600 FD.
A 17h30 l'ONT A est à nouveau ouvert après une coupure de courant, C'est très fréquent à Djibouti car les besoins sont plus nombreux que l'offre. Le chauffeur, le guide et le directeur adjoint sont enfin tous trois présents. Monsieur Mohamed Abdellahi nous confirme notre départ pour demain matin. Après que le chauffeur ait ramené la femme du Ministre qui voulait se promener avec le 4X4, nous partons en sa compagnie en direction de la résidence Marco Polo. Il doit y être à 06h45 demain matin pour charger le matériel avec Raoul, désormais responsable de la logistique et du reportage photo-vidéo. Je ne garde avec moi que l'appareil Canon Sure Shot WP-I Pens 32mm 1 :3,5. Satisfait, enfin le départ approche. Florent a retrouvé le sourire et la santé. Nous nous avisons de ne rien oublier, car nous partons en VTT à 05h00, avant Raoul: préparation de nos camelback avec 4 litres d'eau de source en bouteille, ajouté de fructose, sel ou athlon et boisson isotonique; vérification de la pharmacie, des bagages, du matériel photo vidéo, des cartes. Nous avons pris soin de remplir d'eau tous nos bidons, afin de nous rincer s'il n'y a pas de douche. Je répartis les devises en trois par sécurité. j'ai avisé Denis Le Blevec, coopérant militaire en relation avec l'Armée Nationale Djiboutienne, de nos points de bivouac. J-p viendra chercher Raoul et le matériel à Dankalelo le 20 avril. Si tout se passe bien.
Je suis passé à la Radio Télévision Djiboutienne (RTD), où j'ai rencontré le directeur général et un réalisateur. Très bon accueil. Ils sont disposés à nous interviewer à notre arrivée et à nous foumir des documentaires vidéo sur le nord. Je m'aperçois que les élections finies, les Djiboutiens redeviennent tels que je les ai connus. La tension qui a régné ces jours-ci a disparu, tout continue.
Je me remémore une anecdote que nous a racontée Amélie sur la générosité des Djiboutiens aux Monts Mabla. " Personne, pas même un soldat, ne s'y est jamais aventuré. Nous étions les seuls blancs autorisés à y séjourner. Je vais vous dire pourquoi. Mon père était considéré comme un fou par les occidentaux, mais il était très apprécié des tribus du pays. Les Monts Mabla sont derrière Obock. Nous y cherchions la fraÎcheur. Le chef de tribu, Cheik Issa, nous attendait. Il appela ma mère Armgart et lui dit: 'Vous êtes Allemande". "Comment le savez-vous?",dit-elle. "Mes amis les Turcs, expliqua-t-il, sont les amis des Allemands, donc vous êtes mes amis". Il sortit d'un coffret en bois de santal un drapeau allemand qui datait de la première guerre mondiale, alors que l'Empire Germanique était l'ailié de l'Empire Ottoman. Ma mère s'écroula en larmes. Cheik Issa autorisa notre famille à séjourner à sa guise dans les Monts Mabla sous sa protection, et devint un ami d'Henry. Mon père était méprisé des Européens, des fonctionnaires du Gouvemement à Djibouti. Il possédait pourtant le savoir-faire et la psychologie nécessaires pour mettre dans sa poche toutes les peuplades de la Come de l'Afrique. Grâce à cela, ceux qui cherchaient les traces d'Henry de Monfreid pour le capturer ne le trouvaient jamais. Mon père les effacait au fur et à mesure derrière lui.
DJIBOUTI-ALI SABIEH 95 KMS EN 8 HEURES
Lundi 12 avril 1999 :
1ère étape DJIBOUTI-ALI SABIEH,95 kms en 8 heures
04h00: je suis déjà réveillé. Cette fois-ci, c'est le grand départ pour le Sud! Au petit déjeuner je m'envoie une baguette entière, un café et quelques biscuits. Florent et moi préparons nos VTT. Raoul descend (lOus filmer, je lui montre le matériel à embarquer. je suis un peu stressé de savoir si le 4X4 de l'ONT A sera comme prévu à la résidence à 07h00 pour prendre Raoul et le matériel.
05h00 : Top départ. Nous pédalons à la fraîche, dans la pénombre de la nuit finissante.
J'ai du mal à me mettre dans le rythme. Florent ouvre la route coiffé d'une lampe frontale, car il n'y a plus d'éclairage public à la sortie de Djibouti en direction de Nagar. Nous passons devant la mosquée de l'Ecole de Police. La lumière intérieure éclaire les vitraux de multiples couleurs, du haut du minaret le mouedzen psalmodie l'appel à la prière du matin. C'est très beau. Nous arrivons sur la piste qui mène dans l'oued où je me suis blessé lors de notre premier entraînement. Cette fois-ci je ne m'y fais pas prendre. Il est 05h30, le soleil n'est pas encore levé mais la clarté de l'aube nous permet de passer l'oued sans encombre. Nous rejoignons la piste qui mène à HoIho!. Mon petit déjeuner remonte, j'ai le ventre lourd, mal au coeur et transpire à flots. je m'hydrate sans attendre en aspirant par l'embout relié à mon camelback. Quatre litres d'eau vitaminée dans le dos ne sont pas de trop pour tenir jusqu'à l'étape d'HoIhol. Je souffre de ne pas trouver le rythme, le souffle haché, les jambes douloureuses. Nous faisons plusieurs haltes. Heureux d'être partis dans ces paysages lunaires au jour levant, qui se nuancent du gris cendré au blond sableux.
Arrivés à Holhol, nous nous arrêtons devant le pont de chemin de fer construit par Eiffel, puis nous descendons dans l'oued avant de remonter sur l'autre versant. Nous faisons une halte devant le camp militaire de l'AND et discutons avec les soldats, très étonnés, qui nous posent des questions sur notre périple. Nous traversons la voie ferrée Djibouti-Ali Sabieh, puis nous entrons dans un camp de réfugiés Somaliens qui ont fui leur pays lors du dernier conflit. Nous croisons une ambulance de l'Unicef qui nous conseille d'attendre un vieux Somalien pour nous escorter jusqu'à la sortie du camp. Les enfants sont agressifs, car ils sont affamés. La piste est très mauvaise. Je tombe une nouvelle fois et me cogne sur ma blessure, ne dis même pas ouf ! Les enfants arrivent en foule piailiante et nous entourent, ils viennent de toutes les tentes des organisations humanitaires et des toukouls. Le vieux Somali crie, leur lance des pierres. Les hommes que nous croisons nous saluent et n'hésitent pas à repousser la horde d'enfants. Nous sortons du camp et repartons.
Nous avons perdu du temps à Holhol. La piste que nous avons prise nous rallonge, l'autre étant coupée par les pluies tombées à la saison fraîche. Nous commençons à nous soucier du 4X4 de l'ONTA et à angoisser. Sont-ils partis? Il est 09h30, le soleil tape. Dans un oued défoncé, nous sommes obligés de mettre pied à terre. Le sable est notre pire ennemi avec la chaleur. Nous marchons ainsi pendant une heure, en plein soleil, le corps incendié, les yeux perdus dans l'immensité poussiéreuse. Il est 10h30, la peur me prend aux tripes. Je me sens responsable d'avoir entraîné Florent dans ces conditions extrêmes. Je me demande si nous allons y laisser toutes nos forces. Sable, soleil, chaleur, soif, désert, fournaise. Nous sommes épuisés, je me vide de mon eau, nos réserves s'amenuisent. Florent est brûlé aux cuisses au premier degré. Tout à coup j'aperçois une piste au-dessus de l'oued. Elle nous permet de quitter cet enfer où nous brûlions à petit feu.
Quelques kilomètres plus loin, nous décidons de faire une halte sous un kéké, arbuste typique du pays muni de longues épines qui transperceraient un pneu. Les nôtres heureusement ont une bande de kevÎar.Je remercie Hutchinson et Peugeot pour ce matériel au top. Nous sommes au bord du malaise, le GPS indique 38°C à l'ombre du quéqué, ce qui signifie 45°C environ dans I;oued. Les sels que nous évacuons en transpirant marquent nos visages de blanc. Les yeux livides, ma tête tourne. Je me demande sÎ je rêve, si j'hallucine, la chaleur peut-être, j'entends un bruÎt de moteur. Florent aussi. Seraient-ce nos sauveurs ? La délivrance arrive avec le son spécifique du Toyota Land Cruiser 4X4 6 cylindres. Je reconnaîtrai n'importe où le vrombissement de ce moteur. Raoul saute du 4X4, il a immédiatement jugé la situation critique dans laquelle nous sommes.
Il nous tend rapidement des bouteilles d'eau fraîche, sorties de la glacière. Nous sommes sauvés, mais nous avons laissé toutes nos forces dans cet oued infernal, nous avons puisé dans nos réserves. Je remercie Dieu et tous les saints de nous avoir sortis de ce désert de roches et de sable où règnent silence et mort.
Il faut continuer, le soleil monte, nous allons marcher et rouler près de 25 km encore. Florent a une crampe. Ses brûlures aux jambes commencent à lui faire très mal. La faim et la soif nous tenaillent. J'ai la gorge sèche malgré les dernières gouttes bues de mon camelback. Nous roulons depuis 05h00 du matin, il est 13h00. Il fait environ 50°C au soleil et il reste 10 kms. Nous sommes décomposés, déshydratés,nous frôlons l'accident grave. Je prends la décision, en accord avec le reste de l'équipe, d'embarquer les Vtt dans le 4X4.Il faut penser aux autres étapes. Je peux dire que nous avons été à l'extrême limite de nos possibilités. J'ai les larmes aux yeux d'avoir emmené Florent dans cette galère.Pendant les 10 kms qui nous mènent à Ali Sabieh, Ali, Hussein et Raoul m'expliquent les raisons de leur retard. Ils étaient prêts dès 07h00, mais il leur a fallu attendre 09h00 pour avoir l'autorisation écrite du directeur de l'ONTA. C'est l'Afrique.
Nous arrivons au centre touristique d'Ali Sabieh, laissé à l'abandon comme tant d'autres depuis les dégradations de la guerre de 1993-94, faute de capitaux. C'est bien dommage, cette structure inutilisée. De hauts arbres entourent de leur ombre verte une grande maison blanchie à la chaux avec une gigantesque terrasse, sur laquelle nous installons notre bivouac. Il n'y a plus d'électricité, des ventilateurs rappellent le temps colonial. Des fours à méchoui et de vieilles. gazinières dans un cabanon laissent deviner un passé riche en soirées touristiques. Hussein connaît bien le gardien du centre, seule âme qui vive là. Il nous trouve de vieux matelas, quelle aubaine! Nous y jetons nos duvets et installons nos moustiquaires. Tout le matériel est débarqué. Nous ouvrons quelques boîtes de raviolis et de spaghettis, mais l'appétit n'est pas au rendez-vous. Nous sommes trop fatigués. Après avoir mangé un peu, Ali s'en va au village chercher de l'eau pour nous laver. Nous nous allongeons pour une sieste, mais rien à faire, je n'arrive pas à dormir. Je somnole tout de même un peu.
A 17h00, Ali le musulman fait sa prière. Hussein nous a ramené des cocas frais. Quel bonheur. Nous commençons à préparer le dîner, car ce soir nous n'aurons pas d'éclairage. Nous cuisinons des raviolis volaille avec du riz. La nuit tombe rapidement. Nous installons bien nos couchages, rangeons le matériel et Florent prépare les camelback pour l'étape suivante. Nous mangeons pendant qu'Hussein broute du qat et fume le narguilé avec le gardien, nonchalemment assis à même le sol. Ali nous rejoint, nous discutons du programme de demain. La vaisselle faite, le matériel rangé et le petit déjeuner prêt, nous nous glissons sous nos moustiquaires.
II est 19h30, j'ai du mal à m'endormir. Je contemple le ciel étoilé que je distingue partiellement de la terrasse. Je passe une nuit mouvementée, les images de la journée défilent, le cauchemar vécu et cette piste qui n'en finit pas... Le vent s'engouffre dans la terrasse et nous rafraîchit. C'est agréable, la nuit, à l'abri de cette maudite chaleur. Je pense avoir ici connu la journée la plus terrible de ma vie.
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